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Faire genre

Par Richard Le Menn

Faire genre

Si la culture actuelle fait l'apologie de la diversité, dans les faits, tout est noyé dans une soupe assez immonde, et la diversité fond comme neige au soleil, coupée de son lien avec la terre et son histoire, que l'on foule sans l'aimer. Langues, cultures, espèces végétales et animales, paysages, patrimoines... disparaissent de plus en plus vite notamment en France. Cela aide les marchés immobiliers, agricoles et autres spéculations, mais évidemment nuit considérablement à l'environnement.

La question du " genre " en est un exemple. Il n'est plus bien vu de " faire genre " ( voir la photographie ci-dessus de la vitrine d'un café 'branché' prise près de chez moi ). Le Bon Chic Bon Genre (voir cet article) serait-il révolu ? Autrefois, c'était le contraire. On cherchait beaucoup plus à se démarquer, et les modes s'inventaient, se faisaient et se défaisaient véritablement dans la rue... le plus souvent par des inconnus. Le " bon genre ", notion avant tout liée durant le XVIIIe siècle au théâtre, aux arts et à la littérature et qui commence à être employée aussi pour la mode et les nouvelles manières durant le Directoire à la toute fin du XVIIIe siècle et surtout pendant le XIXe siècle et en particulier durant sa première moitié, était encore d'une très grande originalité et toujours changeant. On évoquait aussi, depuis le XVIIIe siècle, le " grand genre ". Être 'genre' était une marque de distinction, de fantaisie, de diversité. En France, tout cela était une des expressions du goût, depuis au moins le Moyen Âge compris. Une preuve en est la multiplicité des petits-maîtres, depuis cette époque jusqu'à la fin de l'Ancien Régime (disons jusqu'au Second Empire). Aujourd'hui, se caractériser est mal vu, si cette individualité ne fait pas partie d'une uniformité admise. Le mot " genre " vient pourtant du latin genus : genre, origine, naissance, espèce, peuple... Il est une marque d'individualité, de personnalité, d'appartenance. " Ne pas faire genre ", c'est donc se mouler dans ce qui est dominant... tout le contraire de l'esprit créatif, inventif du gandin.

Au début du neuvième cahier (numéro) de la revue de mode intitulée Cabinet des modes, du 15 mars 1786, l'auteur écrit que c'est principalement parmi les gens, et non pas les professionnels, qu'il trouve les nouvelles modes... et donc au milieu de personnes qui " font genre ". Voici ce passage : " Nous croyons qu'il ne serait pas tout-à fait indifférent pour la plupart de nos Souscripteurs, d'apprendre ce qui a pu donner lieu à telle ou telle Mode que nous leur annonçons. Nous nous engageons bien volontiers à le publier, lorsque nous le pourrons sans indiscrétion. Mais très souvent une Mode n'a pris naissance que dans l'imagination d'une Femme de goût, & qui sait se mettre avec art. Cette Femme veut donner le ton, elle veut que l'on sache qu'elle l'a donné ; mais la circonspection répugne à ce que nous la nommions pour en être l'auteur. Alors il ne nous est plus permis que de décrire cette Mode. "

Dans la revue de modes Journal des dames et des modes, publiée de 1797 à 1839, dont je feuillette ces derniers temps des pages numérisées et disponibles sur le site de Gallica, la plupart des nouvelles tendances décrites sont dites être récoltées principalement dans les promenades, les bals, chez les spectateurs des théâtres, concerts... et d'une manière générale dans tous les lieux en vogue où élégant(e)s, merveilleuses, merveilleux et beaux-fils se rencontrent... Une partie, mais moindre, s'inspire de costumes portés par certains comédiens, danseurs, chanteurs... en vogue, qui aussi véritablement lancent des modes. Bien sûr, il est fait référence sporadiquement aux professionnels (modistes, tailleurs, coiffeurs, parfumeurs...), surtout qu'à chaque génération certains se distinguent. Mais la mode n'est pas alors qu'une question d'argent... mais avant-tout une question de goût, de ton, de plaisir et partage dans la vie sociale. Les principaux créateurs sont alors les gens... qui font genre !


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