Chaque mois, dans ses 10 derniers jours, tout comme je le fais pour le cinéma (dans ses 10 premiers) et pour la musique (vers le milieu) je vous parle de l'une des mes trois grandes passions: la littérature.
Je vous parle d'un livre de ma bibliothèque qui m'a marqué et je tente de vous dire à quel niveau. De vous en raconter les thèmes et de vous donner le goût du livre ou de l'auteur.
Lire, c'est pas mal beaucoup mon métier. Je suis traducteur. je considère à peine que c'est travailler. Au point, de m'être déniché un second emploi. À deux jobs, j'ai un presque salaire décent. Selon des critères du tiers-monde.
Lire c'est accéder à un univers qui n'est pas nécessairement le sien, c'est découvrir des angles, des thèmes, des moeurs, des styles, des personnalités, c'est rire, pleurer et s'exciter.
Lire c'est vivre.
RHINOCÉROS de EUGÈNE IONESCO
Dans une société qui pourrait facilement être la notre, des rhinocéros commencent à peupler une ville non identifiée de France. Ça choque les gens du village. On est même incertain si tout ça est vraiment réel. Les gens sont tout d'abord effrayés. Puis, la rumeur court que les gens commenceraient à se transformer en rhinocéros, eux-mêmes. Ça s'appellerait la rhinocérite. On doutera aussi que tout ça existe. Mais les plus farouches douteurs, deviendront eux-mêmes des rhinocéros. Quand Monsieur Boeuf devient rhinocéros, sa femme le suit dans la métamorphose, simplement parce qu'elle ne doit pas laisser les choses aller comme ça!.
Bérenger, notre personnage principal, assiste à la transformation humaine de Jean en Rhinocéros. La rumeur n'est plus rumeur. Il faut maintenant admettre que ce phénomène est bien réèl. Quand tout le monde devient rhinocéros, Bérenger s'en affole. Il est maintenant le seul à ne pas l'être. Même sa Daisy a commencé à les trouver beaux et s'est portée volontaire pour devenir rhinocéros, une tendance qu'elle trouve maintenant charmante.
Bérenger, hésitant tout de même, choisi de ne jamais se rendre et de rester Homme.
Mais il est bien seul.
L'absurde m'a toujours charmé. Il déstabilise. J'aime ce qui déstabilise. Qui fait passer du contemplatif à l'esclaffe. Eugene Ionesco était un leader du théâtre de l'absurde. Quand il a écrit et mis en scène La Cantatrice Chauve, en 1950, il réagissait aux cours de langues qui utilisent des séries de phrases sans suite logique qui le faisaient, lui, s'esclaffer tellement ça lui paraissait absurde.
Ionesco ne lésinait pas sur le crayon (oui, les enfants, nous écrivions au crayon) et entre 1950 et 1959, ce sont 20 pièces de théâtre qu'il écrira avant de lancer Rhinocéros.
Les interprétations de sa pièce sont multiples, mais la plupart, dont moi, s'entendent sur une critique des fascistes, de la montée du totalitarisme, des dictatures et des mouvements nationalistes comme les Nazis qui ont fait tant de ravages quelques 20 ans plus tôt.
Suivre le troupeau aurait pu en être un sous-titre.
Ionesco est habile en nous faisant raconter de petites anecdotes qui en cachent des grosses. Ionesco nous cache aussi son héros, assez bête et niais au début, anti-héros, mais seul humain faisant preuve...d'humanisme à la fin. En apparence, celui qui paraissait le plus faible, sera en fait, le plus fort. Le texte de Ionesco est tout en apparences trompeuses. Comme le sont les discours des manipulateurs que sont les dictateurs ou les fascistes.
On dit aussi qu'en temps de guerre, la toute première victime est toujours la vérité. Rhinocéros est aussi une critique voilée de la guerre, jugée absurde par Eugene. Nous sommes plusieurs à le seconder là-dessus.
Les références à la guerre sont nombreuses dans son texte. On y évoque le costume vert, qui était aussi celui des Nazis, la cruauté, la famine, la collaboration, des mots très présents pendant et au sujet de la guerre.
La rhinocérite met à mal la pensée humaine. Comme le totalitarisme ou la dictature. Ionesco nous met en garde sur les dangers de vivre avec une pensée unique. Une masse floue forme des pensées floues. Des pensées floues forment des peuples floues. Rhinocéros encourage la diversité des gens et de la pensée.
Il y critique l'absence de réflexion, comme Daisy qui choisit de devenir Rhinocéros, puisque tout le monde le fait, ça doit être bien.
Bien que rédigée en 1959, ce texte fait écho à l'absurdité de nos jours.
Fabuleux Eugene.