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Le restaurant de l’amour retrouvé, d’Ito Ogawa

Par Ellettres @Ellettres
Le restaurant de l’amour retrouvé, d’Ito Ogawa

Le thème choisi pour ce blogoclub du 1er mars, la littérature japonaise, me convenait bien ; je ne m’y connais pas beaucoup en auteurs japonais, mais de Murakami à Ogawa (Yoko), ils m’intriguent suffisamment pour que j’aie envie d’en savoir plus. Le titre qui a recueilli le plus de suffrages ne fait pas dans l’intrigant (à mes yeux) mais relève plutôt d’une veine qui connaît son petit succès depuis quelques années : le roman et/ou film autour de la bonne bouffe (mais attention, la bonne bouffe feel-good, pas La Grande Bouffe, beaucoup trop subversive). Je pense à Julie et Julia et son film éponyme avec l’inénarrable Meryl Streep, mais aussi le pionnier du genre, Le Chocolat.

D’ailleurs, grâce à mon moteur de recherche, j’apprends que Le Chocolat est l’adaptation d’un livre, et que Le restaurant de l’amour retrouvé a été adapté au cinéma. Comme quoi ! Le genre culinaire se porte aussi bien en littérature qu’au cinéma ces temps-ci. Serait-ce parce que la gastronomie est la dernière valeur qui nous rassemble ? Papilles de tous les pays, unissez-vous ? Faites la cuisine, pas la guerre ?

M’enfin, trêve de considérations à la sauce « café du commerce ». Je suis là pour vous parler de ce petit roman frais comme une goutte de rosée, donnant la parole à une jeune narratrice fort démunie après le largage de son amoureux (point de départ du roman). Ce dernier a poussé l’indélicatesse jusqu’à vider leur appartement de tout ce qu’il contenait, emportant dans sa fuite les précieux ustensiles et ingrédients de cuisine de Rinco, papier sulfurisé compris, en plus de toutes ses économies précieusement accumulées dans un bas de laine. De douleur, Rinco en perd sa voix. Elle n’a d’autre solution que de revenir dans son village natal qu’elle a fui dix ans auparavant, sa précieuse « jarre de saumure » sous le bras (seul bien ayant échappé au ratissage de l’ex-petit copain). Keskecékça ? la jarre de saumure sert à la fermentation des fruits et légumes ; celle de Rinco datant de l’ère Meiji, ses champignons ont plus de cent ans, ce qui leur confère une valeur inestimable apparemment (Petit détail amusant : il paraîtrait que les mains des femmes qui viennent d’accoucher contiennent de précieux lactobacilles pour la fermentation des aliments ! Je devrais m’y mettre !).

Dans ce lieu entre mer et montagne, elle se décide à réaliser son rêve : monter un restaurant pas comme les autres, avec une seule table, où elle concocte les menus en fonction du « profil » des clients qui, s’ils le veulent, peuvent ensuite rester dormir. Et la recette fonctionne ! La cuisine de Rinco a le don d’éveiller non seulement les papilles mais aussi les sentiments enfouis au fond des coeurs (même celui d’un lapin anorexique).

… avant de cuisiner, je suivais toujours le même rituel. J’approchais mon visage, mon nez, des aliments, j’écoutais leur « voix ». Je les humais, les soupesais, leur demandais comment ils voulaient être cuisinés. Alors, ils m’apprenaient eux-mêmes la meilleure façon de les accommoder.

Ce n’était peut-être qu’une illusion, mais j’entendais bel et bien leur voix ténue. Ensuite, je m’agenouillais en esprit et priais les divinités de la cuisine.

Pour moi, ce roman est bien japonais dans la mesure où l’acte de cuisiner se distingue peu d’une forme d’art, et même d’une pratique spirituelle. Les trois sont liés et forment tout le charme délicat de ce roman parsemé de descriptions très « haïku-esques » de la nature et des ingrédients. Les énoncés de recette sont des petits chefs d’oeuvre de littérature culinaire qui m’ont fait saliver dès la première page, alors même que je suis loin de connaître toutes les subtilités de la gastronomie japonaise (ça me donne envie de découvrir autre chose que les sushis, tiens !)

Exemple de menu :

Cocktail à la liqueur de matatabi

Pomme en saumure

Carpaccio d’huîtres et d’amadai

Samgyetang de poulet de Hinai entier au shôshû

Risotto de riz nouveau à la poutargue

Selle d’agneau rôtie et champignons sauvages sautés à l’ail

Sorbet de yuzu

Tiramisu au mascarpone avec sa boule de glace à la vanille

Expresso serré

Je ne saurais cependant dire avec précision où se situe la frontière entre la poésie et la fraise tagada, dans ce roman. Certains passages descriptifs se rapprochent dangereusement de la seconde, et les bons sentiments saupoudrés dans l’arrière-cuisine de ce restaurant sont parfois légèrement écoeurants. Le ton peut sembler naïf. Mais ici, je doute de mon propre ressenti parce qu’il s’agit là peut-être d’un aspect de la sensibilité nippone que je ne saisis pas bien (comme dans le roman de l’autre Ogawa). Après tout, on est bien dans le pays d’Hello Kitty. Ce qui est drôle, c’est que ce côté très kawaï se combine avec des détails assez crus et incongrus, qui tombent comme un cheveu sur la soupe miso (comme le « bébé pistolet » ou la fin d’Hermès, entre autres). Bref, j’ai eu l’impression de lire un roman bien postmoderne où tout est ramené sur le même plan, le jugement éthique curieusement absent, et la philosophie se résumant à « la cuisine nous rassemble », « profitez de chaque petit bonheur » et « vivez vos rêves » (avec un soupçon de déférence envers les aînés, on est au Japon tout de même).

Le simple fait de remettre sur ses pattes un cloporte coincé sur le dos était pour moi une joyeuse rencontre. La chaleur d’un oeuf fraîchement pondu contre ma joue, une goutte d’eau plus belle qu’un diamant sur les feuilles mouillées de rosée, une dame voilée cueillie à l’orée d’un bosquet de bambous, son superbe capuchon pareil à un dessous de verre en dentelle flottant dans mon bol de soupe miso… la moindre petite chose me donnait envie de déposer un baiser sur la joue du Bon Dieu.

Alors voilà, je l’ai lu somme toute avec plaisir ce roman, c’était parfait pour les jours qui ont suivi la naissance de Junior, comme un bonbon acidulé qui se déguste tout seul et nous transporte brièvement ailleurs. Et selon l’expression consacrée (mais dans le sens littéral du terme), je suis restée sur ma faim !

« Le restaurant de l’amour retrouvé » d’Ito Ogawa, traduit du japonais par Myriam Dartois-Ako, Picquier Poche, 2015, 254 p.

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