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Pourquoi l'absolu est-il "conscience", "élan, "coeur", "vibration", "vague" ?

Publié le 09 mars 2019 par Anargala
Pourquoi l'absolu est-il


Dans les Tantras non-dualistes, l'absolu porte différents noms qui tous suggèrent le mouvement et le dynamisme.

Pourquoi ?

Avant de répondre, il faut se rappeler que le Tantra non-dualiste tel qu'il est interprété dans le shivaïsme du Cachemire parle toujours de l'expérience commune, même quand le propos a l'air ésotérique ou fort éloigné de notre expérience quotidienne. C'est l'idée de la Reconnaissance : tout est là, mais je ne l'ai pas reconnu.

Mais pourquoi décrire l'absolu en terme de mouvement, plutôt que comme un mystère transcendant et immuable ?

Car le mouvement, à première vue, c'est le changement, l'impermanence et donc la souffrance. 

L'absolu est décrit comme énergie (shakti). Or, l'énergie c'est du mouvement, ce que suggèrent ces noms : vibration (spanda), expansion (vikâsa), élan (udyama), désir (icchâ), vague (ûrmi), ou même scintillement (sphurattâ) ou existence (sattâ). Est-ce à dire que le Tantra non-dualiste et le shivaïsme du Cachemire ne célébreraient que l'inverse du non-dualisme habituel (pour qui des termes comme" vibration" dénotent uniquement le mental et l'illusion) ? Cela voudrait-il dire qu'être "tantrique", ce serait accepter la souffrance, embrasser le chaos, plonger dans la tempête en brûlant la chandelle par les deux bouts en renonçant à toute paix ?

Certains interprètent le Tantra dans ce sens, comme une sorte de culte de l'excès, comme une idolâtrie de la jouissance à outrance. 

C'est peut-être vrai pour certains courants, mais pas pour le shivaïsme du Cachemire.

La clé est que ces deux extrêmes sont deux moments complémentaires dans le cycle de l'absolu.

L'un des deux moments n'est pas supérieur à l'autre. C'est vraiment la clé. Si l'on ne comprend pas cela, on ne comprend rien à la vie.

L'absolu n'est pas statique.

Il est cycle (krama) d'une phase à une phase opposée.

Voici, pour faire comprendre :

Shiva - Lumière simple, pure conscience

et
Shakti - Lumière qui se ressaisit elle-même, conscience de soi

Bhoga - jouissance, affects

et
Moksha - délivrance

Sommeil profond

et
Etat de veille

Attachement - râga

et
Détachement - dvesha

Goût - râga

et
Dégoût - virâga

Transcendance - visha-uttîrna

et
Immanence - vishva-maya

Tout - kula

et
Au-delà de tout - akula

Création - srishti
et 
Destruction - samhâra

Union - yoga

et 
Séparation - viyoga

Ouverture des yeux - unmîlana
et
Fermeture des yeux - nimîlana

Éclosion - vikâsa

et
Contraction - samkoca

et ainsi de suite...

L'absolu, c'est-à-dire la conscience (caitanya, synthèse du sujet grâhaka et de l'objet grâhya) n'est pas seulement "tout" (shakti) ou "au-delà de tout" (shiva), mais mouvement de l'un à l'autre, vers une synthèse toujours plus intégrée.

Dans le langage sexuel de la tradition Koula, la tradition du cœur-corps, l'absolu est l'excitation sexuelle (kâma-tattva "l'essence du désir"), mais il est aussi le dé-goût après l'orgasme (visha-tattva, "l'essence du poison") qui sont tous les deux englobés dans l'absolu (niranjana-tattva, "l'essence transparente, parfaite"). La tradition Koula propose aussi les images du ventre du poisson" (matsya-udara) et des organes génitaux de l'ânesse. Images peu familières, sans doutes et insolites, mais qui évoquent toutes une palpitation.

L'erreur de la plupart des points de vue est de prendre la partie pour le tout, le moment d'un cycle pour le cycle lui-même. C'est comme celui qui a faim et qui proclame que le bonheur consiste à manger toujours ; mais après avoir mangé, arrive la satiété et il proclame que le bonheur consiste à ne plus jamais manger. 

Alors qu'en réalité, avoir faim et ne plus avoir faim sont deux phases naturelles de la vie. 
Quand nous nous sentons plein d'appétit, nous sommes tenté d'en faire un principe éternel : "Ah le désir !" Puis quand nous sommes fatigués, comblés ou épuisés, nous sommes au contraire tentés de nous écrier "Ah l'absence de désir, il n'y a que ça de bon !" 
Alors que, de toute évidence, l'un et l'autre état font partie d'un seul et même tout vivant. 

Voilà pourquoi l'absolu est appelé "cœur" : il est comme un cœur qui bat, qui palpite et qui tantôt expulse le sang, tantôt l'aspire. Voilà pourquoi l'absolu est vibration, jeu des opposés complémentaires : un mouvement immobile, une conscience de soi sans séparation entre soi et soi. 


La vérité est le tout, pas la partie.

Autrement dit, "l'au-delà de tout" est un aspect de l'absolu, pas l'absolu.
L'absolu n'est pas un état définit, mais l'acte de se dépasser, tout en s'intégrant dans une totalité de plus en plus vaste. Voilà pourquoi l'absolu est désigné par des mots comme "vibration" ou "expansion" ou même "synthèse" (samdhâna).

Généralement, les philosophies, y-compris les non-dualistes, isolent une partie, un aspect, et veulent en faire le tout. 

Il est naturel d'éprouver du désir.

Il est aussi naturel d'éprouver du détachement.

L'état de veille et son effervescence est naturel.

Les ténèbres du sommeil profond sont aussi naturelles.

Il est naturel de se lever le matin, prêt à tout dévorer.

Il est aussi naturel de se sentir bien sous la couette.

Naissance et mort, en ce sens, font partie d'une même vie.

Comme vous voyez, c'est très concret. Pas juste des symboles.


Ces phases opposées et complémentaires sont des aspects de l'absolu. Il est vain et inutile de chercher laquelle est supérieure à l'autre. La conscience est transcendance ("au-delà de tout, "je ne suis rien", etc.) et immanence("tout", "je suis tout", etc.), comme une respiration. L'absolu est souffle, cycle, jeu des opposés et synthèse. 

Voilà pourquoi l'absolu est désigné par ces noms.

Toute autre vision n'est qu'un aspect de cet émerveillement. Et débouche tôt ou tard sur l'ennui ou la souffrance. L'Immense, l'Ouvert, brahman, est l'absolu parce qu'il est expansion (brih-, apparenté à vridh- "grandir, s'accroître") perpétuelle, mouvement (brahm "aller, bouger") sans fin, éclosion sans terme, étonnement d'être, réalisation de soi, délectation émerveillée (camatkâra), miracle d'exister, extase de s'éprouver libre.

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