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L'amie prodigieuse, Le nouveau nom II, Celle qui fuit et celle qui reste III, L'enfant perdue IV Elena Ferrante

Publié le 15 mars 2019 par Nathpass
Pour une lecture en public, pour un coup de coeur, je ne pouvais choisir que la saga de L'amie prodigieuse.
À qui pourrais je donner l'envie de lire ces quatre livres ? aux personnes déjà qui aiment lire la vie des autres et qui n'ont pas trouvé beaucoup de récits quant à l'amitié au fur et à mesure de la vie. Comment l'amitié au même titre que l'éducation, la scolarité puis les études, le sexe, la politique la vie en couple (avec ou sans) peuvent atteindre, changer, influencer jusqu'au goût du voyage... L'une se montre dans son quartier, l'autre dans son pays puis la maturité la vieillesse : toutes deux comment s'effacent-elles, comment vont-elles sortir de notre tête de notre coeur à travers notre époque ici et maintenant ?
C'est un livre historique, c'est genre la biographie de deux personnages ? de bien plus de personnages qui ne nous échappent pas, déjà grâce à l'index des personnages, comme pour une pièce de théâtre placé au début de chaque tome avec au fur et à mesure des tomes le rappel des évènements. Ils prennent corps.
Elles sont deux filles des années 1950 aux années 2005, elles viennent toutes deux d'un quartier pauvre de Naples l'une s'appelle Elena, Lenu et l'autre Lila.
Ces livres ont rétabli ma toute entière gourmandise des livres avec la faim et le goût.
Faut-il aimer l'Italie ? oui et la vie aussi, et vouloir trouver un port fiable pour faire une grande pause, sortir des bribes d'histoires de faits de pensées sur le web internet les réseaux.
Sur l'amitié ce constant dédoublement sentiment d'être en partie soi, en complétude qu'avec l'autre, avec ses rivalités, jalousies, frustrations, destruction de l'une au profit de l'autre, ses séparations, ses retours, ses effacements, sur la complicité à quatre mains, je n'ai choisi aucun extrait, il faut que vous lisiez les livres c'est ce qui les sous-tend... Le dernier tome est pour moi celui qui touche de plus près à la fois notre époque et mon âge dans la vie. La fin est une des fins que je préfère et pour toutes ces raisons de ce tome vous en aurez le moins d'extraits.
La série (Saison 1) que j'ai vue m'a incitée à lire tous les livres pour connaître la suite, et pour redonner à tous ces personnages leur non-dits leurs pensées leurs contradictions.
J'ai demandé à ma libraire celle de mon quartier qui était l'auteur ? Elle m'a répondu qu'en Italie elle a voulu garder un certain anonymat, le milieu du livre étant particulièrement difficile, mais qu'elle est bien connue et depuis longtemps des maisons d'éditions.
L'amie prodigieuse, Le nouveau nom II, Celle qui fuit et celle qui reste III, L'enfant perdue IV Elena Ferrante
Hier mon autre libraire  Au plaisir des Yeux et amie, dans le 14 ème, 120 rue Raymond Losserand, a hébergé l'association du journal local la Page http://www.lapage14.info et c'est à cette occasion que nous avons lu des pages...Histoire de se rassembler autour d'un verre, de quelques crudités avec une sauce originale au fromage blanc et des chips et quelques gâteaux au miel, au chocolat et un autre aux amandes... je lui ai trouvé à ce dernier comme un goût de noix de coco... la mémoire des goûts avec l'âge se perd-t-elle  ...

L'amie prodigieuse, Le nouveau nom II, Celle qui fuit et celle qui reste III, L'enfant perdue IV Elena Ferrante

Anne Guyot la libraire lisant Le roi chocolat de Thierry Montoriol
https://www.babelio.com/livres/Montoriol-Le-roi-chocolat/1053998

L'amie prodigieuse, Le nouveau nom II, Celle qui fuit et celle qui reste III, L'enfant perdue IV Elena Ferrante

Les spectateurs libres écoutent.... mais avec le portable.

L'amie prodigieuse Tome I
édition poche Folio
p 195 la somme de tous les crimes
"Pascà mais c'est qui les nazis-fascistes ? Et les monarchistes ? Et c'est quoi le marché noir ? »
J'ai du mal à dire quel effet les réponses de Pasquale purent avoir sur Lila, je risque de me tromper, aussi parce qu'à l'époque elles n'eurent aucun effet sur moi. En revanche, et comme toujours, Lila en fut imprégnée et bouleversée au point à la fin de l'été elle devint obsédée par une unique pensée qui m'était assez insupportable. Avec mes mots d'aujourd'hui, je tenterai de la résumer ainsi : il n'existe aucun geste, aucune parole ni soupir qui ne contienne la somme de tous les crimes qu'ont commis et que continuent à commettre les êtres humains.
Naturellement elle le disait d'une autre manière. Mais ce qui compte, c'est qu'elle fut saisie par une frénésie de dévoilement absolu. Elle m'indiquait des gens dans la rue, des objets et des endroits, et elle me disait :
« Celui-ci a fait la guerre et  tué des hommes, celui-là a bastonné et fait boire de l'huile de ricin, celui-ci a dénoncé un tas de gens, celui-là a même affamé sa mère; dans cette maison on a torturé et tué, sur ces pavés on a défilé en faisant le salut romain, au coin de cette rue des gens en ont tabassé d'autres ; l'argent de ceux-ci vient de la faim de ceux-là, cette voiture a été acheté en vendant du pain coupé avec de la poussière de marbre et de la viande avariée au marché noir, cette boucherie est née grâce au cuivre volé et aux trains de marchandises dévalisés, derrière ce bar il y a la camorra, la contrebande et l'usure. »
p 291 l'écriture de Lila (extrait lu à la lecture publique)
Lila savait parler à travers l'écriture. Pas comme moi quand j'écrivais, pas comme Saratorre dans ses articles et poésies, et pas comme de nombreux écrivains que j'avais lu et lisais : elle s'exprimait avec des phrases qui, certes, étaient soignées et sans erreur –bien qu'elle est arrêté ses études– mais en plus chez elle tout semblait parfaitement naturel, on ne sentait jamais l'artifice de la parole écrite. En la lisant je la voyais, je l'entendais. Cette voix sertie dans l'écriture me bouleversa et me ravit encore plus que lorsque nous discutions en tête à tête : elle était totalement purifiée des scories du parler, de la confusion de l'oral, Elle avait la clarté et la vivacité que j'imaginais être celle du discours quand on était assez chanceux pour être nés dans la tête de Zeus et non pas chez les Greco ou les Cerullo.  J'eus honte des pages infantiles que je lui avais écrites, de mes exagérations, mes frivolités, ma joie feinte et ma douleur fabriquée. Qui sait ce que Lila avait pensé de moi !
Le nouveau nom Tome II
édition poche Folio
p 70 la richesse
Quelle douce chaleur ! Ce fut un plaisir inattendu. Bientôt j'essayais de nombreux petits flacons qui envahissaient les coins de la baignoire  et une mousse vaporeuse sembla naître de mon corps, faisant presque déborder la baignoire. Ah Lila possédait tellement de choses merveilleuses ! Il ne s'agissait plus seulement d'avoir un corps propre, c'était un jeu, de l'abandon. Je vais découvrir les rouges à lèvres, le maquillage, le grand miroir qui restituait une image non déformée et le souffle du sèche- cheveux. À la fin je me retrouvai avec une peau lisse comme je n'en avais jamais eu et une chevelure volumineuse, rayonnante et encore plus blonde. C'était peut-être ça, me dis-je la richesse que nous voulions quand nous étions enfants : non pas des coffres pleins de pièces d'argent et de diamants mais une baignoire où on peut rester allongée ainsi tous les jours, et puis manger du pain, du saucisson et du jambon, avoir un espace immense même dans les toilettes, avoir le téléphone, un garde-manger et un réfrigérateur rempli de nourriture, une photo dans un cadre en argent sur le buffet qui te montre en robe de mariée, avoir tout cet appartement avec cuisine, chambre à coucher, salle à manger, deux balcons et la petite pièce où je suis enfermée pour travailler et où, bien que Lila n'en ait jamais parlé, un enfant dormira bientôt, dès qu'il arrivera.
p 175 les journaux
Au début je laissais traîner le journal dans l'appartement, repoussant la lecture à quand j'aurais fini mes devoirs, mais le soir venu le quotidien avait disparu, mon père se l'était approprié et le lisait au lit ou dans les toilettes. Je pris alors l'habitude de le cacher entre mes livres et ne le sortais que la nuit, lorsque tout le monde dormait. C'était parfois L'Unita, parfois Il mattino ou encore le Corriere della Sera, mais je les trouvais tous trois difficiles, c'était comme si j'avais dû me passionner pour des bandes dessinées dont j'avais raté les numéros précédents. Je parcourais les colonnes plus par contrainte que par réel intérêt et en même temps, comme pour toutes mes obligations scolaires, j'espérais qu'à force de persévérance je comprendrais demain ce que je ne comprenais pas aujourd'hui.
p 256 les conflits : comment gouverner.
Mais il (Nino) orienta bientôt la conversation sur le seul terrain qui semblait justifier notre rendez-vous. Il affirma qu'il était content de me voir parce qu'avec son ami, il ne pouvait parler que de football et de sujets universitaires. Il fit mon éloge. Madame Galiani a du flair, dit-il, tu es la seule fille du lycée qui ait un minimum de curiosité pour des questions qui ne servent pas aux examens ni à avoir de bonnes notes. Il se mit alors à aborder des thèmes importants et nous eûmes recours tous deux au bel italien plein de passion, dans lequel nous savions exceller. Il partit du problème de la violence. Il fit allusion à une manifestation pour la paix à Cortona qu'il lia habilement à des affrontements qui avaient eu lieu sur une place de Turin. Il expliqua qu'il voulait étudier le rapport entre immigration et industrie. Je l'approuvai mais que savais-je de tout cela ? Rien du tout. Nino s'en rendit compte et me raconta en détail une émeute de très jeunes gens venus du Sud et la sévère répression policière qui avait suivi. « Ils se font traiter de Napolitains, Marocains, fascistes, provocateurs ou alors anarcho-syndicalistes. Mais ce sont des jeunes dont aucune institution ne s'occupe et qui sont livrés à eux-mêmes : du coup, lorsqu'il s'énervent, il cassent tout. » Je cherchai quoi répondre pour lui faire plaisir, alors je hasardai : « Si on n'a pas une solide connaissance des problèmes et si on ne trouve pas de solution à temps, il est normal que des conflits éclatent. Mais ce n'est pas la faute de ceux qui se rebellent, c'est la faute de ceux qui ne savent pas gouverner. "il me lança un regard admiratif et répondit : « c'est exactement ce que je pense. »
p 271 jouer aux intellectuels
...Oui, des conneries ! » répéta-t-elle. Mais ensuite, avec un brin d'ironie, elle s'excusa (Pinuccia) d'avoir défini ainsi les bavardages qui me plaisaient tant à moi aussi : « Vous aimez étudier, fit-elle, alors vous ne vous comprenez qu'entre vous, c'est logique. Mais vous permettez que nous on trouve ça plutôt rasoir?"
Ces paroles me ravirent. Elle confirmèrent en présence de Lila, témoin muet de cette conversation, qu'entre Nino et moi il y avait une relation pour ainsi dire exclusive, dans laquelle il était très difficile de s'insérer. Mais un autre jour Pinuccia dit à Bruno et Lila sur un ton dédaigneux : « laissons ces deux-là jouer aux intellectuels et allons nous baigner, la mer est belle ! "À l'évidence, jouer aux intellectuels était une manière de dire que le contenu de nos conversations ne nous intéressait pas réellement et que nous adoptions une posture, un rôle.
p 532 les cahiers
J'ignore si cela fut causé par les cahiers(sorte de journal) de Lila. À l'évidence, aussitôt après les avoir lus, et longtemps avant de jeter la boîte qui les contenait, le désenchantement me gagna. Mon impression initiale d'être au cœur d'une bataille intrépide s'évanouit. Je n'eus plus le cœur battant à chaque examen ni la même joie à obtenir la note la plus élevée. Je perdis le plaisir de corriger ma voix, mes gestes et mes façons de m'habiller de marcher, comme si j'étais en compétition pour le prix du meilleur déguisement du meilleur masque - tellement réussi qu'on aurait presque dit un visage.
Celle qui fuit et celle qui reste  Tome III
édition poche Folio
p 82 différente
J'eus l'impression d'être différente, et ma présence me parut illégitime. Je ne me sentais pas le droit de crier de concert, ni de rester dans cette chaleur qui, à présent, me rappelait les odeurs et la chaleur émanant du corps d'Antonio et de son souffle, lorsque nous nous étreignions aux étangs. J'avais été trop misérable et trop écrasée par la nécessité d'exceller dans les études. J'étais très peu allée au cinéma. Je n'avais jamais acheté de disques, comme j'aurais aimé le faire. Je n'étais pas devenue fan de chanteurs et n'avait jamais couru à des concerts. Je n'avais pas collectionné d'autographes, n'avais jamais été ivre, et le peu de fois où j'avais fait l'amour, cela avait été à l'aide de mille subterfuges, mal à l'aise et apeurée. Ces filles au contraire, à un degré ou un autre, devaient avoir grandi dans une certaine aisance, et elles étaient parvenues à leur mue actuelle bien mieux préparées que moi. Elles devaient ressentir leur présence dans ce lieu, dans cette ambiance, non pas comme un déraillement mais comme un choix juste et nécessaire. Maintenant que j'ai un peu d'argent, me dis-je, et que j'en gagnerai peut-être beaucoup plus, je peux essayer de rattraper le temps perdu. À moins que ce soit impossible –qui sait si je ne suis pas désormais trop cultivée, trop ignorante, trop contrôlée, trop habituée à maîtriser la vie en emmagasinant idées et données, trop près du mariage et de l'installation définitive, bref trop satisfaite et obtuse, prisonnière d'un ordre qui paraissait pourtant ici à son crépuscule. Cette dernière pensée m'effraya. Il faut tout de suite que je parte, pensais-je, ici le moindre geste la moindre parole sont autant de claques en réponse à tous mes efforts ! Or j'avançai au contraire à l'intérieur de la salle pleine à craquer.
p 219 avec un homme
Avec un vocabulaire encore plus brutal, elle ajouta qu'elle avait fait –que ce fut parce qu'elle y avait été forcée, par curiosité ou par passion– tout ce qu'un homme pouvait vouloir d'une femme. Or, même avec Nino, lorsqu'elle avait désiré concevoir un enfant puis était tombée enceinte, elle n'avait jamais connu ce plaisir qui, racontait-on, accompagne surtout le grand amour.
Devant tant de franchise, je compris que je ne pouvais rester silencieuse je devais lui faire sentir que j'étais proche d'elle et répondre à ses confidences par mes propres confidences. Mais à l'idée de devoir parler de moi – le dialecte me dégoutait et, malgré ma réputation d'auteure de pages osées, l'italien que j'avais acquis me semblait trop précieux pour le sujet poisseux des expériences sexuelles –, mon malaise augmenta, j'oubliais qu'elle me faisait un aveu difficile et que chacun de ses mots, même les plus grossiers, était serti dans l'épuisement qu'elle portait sur le visage et dans le tremblement de ses mains. Je coupais court :
« Pour moi ce n'est pas comme ça », fis-je
Je ne mentis pas, et pourtant ce n'était pas la vérité. La vérité était plus complexe et, pour lui donner forme, j'aurais eu besoin de mots déjà éprouvés. J'aurais dû lui expliquer qu'à l'époque d'Antonio me frotter contre lui et me laisser toucher m'avaient toujours donné beaucoup de plaisir, et qu'aujourd'hui encore c'était ce plaisir que je recherchais. J'aurais dû avouer qu'être pénétrée m'avait déçue moi aussi, c'était une expérience gâchée par le sentiment de culpabilité, par l'inconfort des conditions de l'étreinte, par la peur d'être surpris et la précipitation qui en découlait, et et par la terreur de tomber enceinte. Cependant j'aurais dû ajouter que Franco –puisque le peu de choses que je savais en matière de sexe, en gros,–, avant d'entrer en moi et après, me laissait me frotter contre l'une de ses jambes et contre son ventre : et ça oui, ça me plaisait, et rendait même parfois la pénétration agréable. Du coup -aurais-je dû lui dire en conclusion–, j'attendais a présent le mariage. Pietro était un homme très attentionné et j'espérais que, dans la paix et la légitimité du lit conjugal, j'aurais le temps et le confort nécessaires pour découvrir le plaisir du coït. Si j'avais été honnête, voilà ce que j'aurais dit. Mais à presque 25 ans, nous n'avions pas l'habitude de nous faire des confidences aussi précises. Il n'y avait eu, entre nous, que quelques évocation vagues et discrètes à l'époque où elle fréquentait Stefano et moi Antonio, mais il ne s'agissait que de propos timides et allusifs. Quant à Donato Sarratore et Franco, je ne lui avais jamais parlé ni de l'un ni de l'autre. C'est pourquoi je me limitai à ces quelques mots –pour moi ce n'est pas comme ça–, qui durent sonner à ses oreilles comme : peut-être que tu n'es pas normale. Et en effet, elle me regarda, perplexe, et dit comme pour se justifier : « Ce n'est pas ce que tu as écrit dans ton livre."
Ainsi donc, elle l'avait lu. Sur la défensive, je murmurais :
« maintenant, je ne sais même plus ce que j'ai mis dedans.
–Ce que t'as mis dedans, c'est des trucs sales, fit-elle, des trucs que les hommes ne veulent pas entendre, et que les femmes connaissent mais ont peur de dire. Mais alors quoi ? Tu te caches maintenant ? »
p 318 quelque chose de grand
J'écrivais avec élégance des formules à la rigueur abstraites, qui visaient à signaler à je ne sais trop qui – surtout dans ce journal – mon adhésion aux critiques les plus dures envers le parti communiste et les syndicats. Aujourd'hui, j'ai du mal à expliquer pourquoi je persistais à écrire ce genre de texte ou, plus exactement, pourquoi je me sentais de plus en plus attirée par des positions extrêmes, malgré ma maigre participation à la vie politique de la ville et malgré ma douceur naturelle. Peut-être était-ce un signe d'insécurité. Ou bien je me méfiais de toute intervention d'intermédiaire –un art que depuis la prime enfance, j'associais aux combines de mon père et à ses ruses pour évoluer au sein de l'inefficacité de la mairie. Peut-être ma connaissance directe de la misère, que je me sentais obligée de ne pas oublier, me poussait-elle du côté de ceux qui étaient restés en bas et luttaient pour tout balancer par la fenêtre. Ou bien le quotidien de la politique et des revendications, sur quoi j'avais pourtant écrit avec zèle, au fond ne m'importait pas tant que ça. Je voulais juste que quelque chose de grand–j'avais utilisé et j'utilisais souvent cette formule– surgisse, et je voulais pouvoir le vivre et le raconter.
L'enfant perdue Tome IV (extrait lu à la lecture publique)
édition poche Folio
p 401 l'écriture informatique
Pendant que les gamines jouaient –dès qu'elles commençaient à se disputer, nous lancions des cris énervés pour les faire taire–, Lila me mit sous les yeux tout le matériel en sa possession et mon expliqua le sens. Nous l'organisâmes et en fîmes le résumé. Cela faisait tellement longtemps que nous n'avions pas travaillé ainsi ensemble ! Elle eu l'air satisfaite, je compris que c'était ce qu'elle voulait et ce qu'elle attendait de moi. À la fin de la journée, elle disparut à nouveau avec son sac et je rentrai chez moi pour étudier nos notes. Les jours suivants, elle voulut que nous nous voyions à la Basic Sight. Nous nous enfermâmes dans son bureau et elle s'installa devant l'ordinateur, une espèce de téléviseur muni d'un clavier, bien différent de l'engin qu'elle nous avait montré aux filles et à moi, longtemps auparavant. Elle appuya sur le bouton d'allumage et inséra des rectangle noirs dans des blocs gris. J'attendis, perplexe. De petits clignotant tressaillirent sur l'écran. Lila commença à taper sur le clavier et j'en restai bouche bée. Rien de comparable avec une machine à écrire, même électrique. Du bout des doigts, elle caressait les touches grises, et l'écriture naissait sur l'écran en silence, verte comme l'herbe sortant de terre. Ce qui se trouvait dans sa tête, accroché je me sais où dans son cortex cérébral, semblait se déverser à l'extérieur comme par miracle, et se fixer sur le néant de l'écran. C'était de la pure puissance qui, tout en passant par un geste, restait de la puissance, un stimulus électrochimique qui se transformait instantanément en lumière. Je me dis que l'écriture de Dieu sur le Sinaï avait dû être ainsi, au temps des commandements, insaisissable terrible, mais avec pour effet une pureté bien concrète. Magnifique ! dis-je. Je vais t'apprendre proposa t-elle. En effet elle m'apprit, et des segments éblouissants, hypnotiques, commencèrent à s'aligner sur l'écran : des phrases que je disais, qu'elle disait, nos discussions volatiles qui allaient s'imprimer sur la flaque noire de l'écran, semblables à des sillons sans écume. Lila écrivait, je corrigeais, alors elle effaçait en appuyant sur une touche, et avec d'autres boutons elle faisait disparaître un bloc de lumière tout entier pour le faire réapparaître plus haut ou plus bas, en une seconde. Mais aussitôt après, c'était Lila qui avait une nouvelle idée et, en un éclair, tout changeait à nouveau : des mouvements magiques, ce qui était là soudain n'y était plus, ou était autre part. Et il n'y a pas besoin de stylo, de crayon, il n'y a pas besoin de changer de feuilles ni d'en mettre une autre dans le rouleau ! La page c'est l'écran, unique, sans jamais la moindre trace de correction, on dirait que c'est toujours la même. Et l'écriture est inaltérable, les lignes sont toutes parfaitement droites, et il émane d'elles un sentiment de propreté, même si nous sommes en train d'additionner les saloperies des Solara aux saloperies de la moitié de la Campanie.

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