Camané au CAPE - Centre des arts pluriels Ettelbruck

Que dire d'un concert et d'un chanteur de fado qui ont atteint la perfection absolue ? Mille mots ne suffiront pas, ni une ou deux ou trois photos. Il fallait juste vivre le moment.
Camané au Centre des arts pluriels à Ettelbruck ce vendredi 15 mars 2019.
Peut-être faudrait-il dans la vie de temps en temps se concentrer très fort sur un paysage, ou une poésie, ou une image, et oublier tout le reste, le temps d'un battement d'aile de papillon, se dire que la vie est là devant nous, toute entière contenue dans ce battement d'aile de colibri, et que le bonheur futile et fugace mais tellement sublime consiste à percevoir ne serait-ce que le début du commencement de cette parenthèse enchantée.
Peut-être faudrait-il parfois nous ordonner de nous asseoir et de nous tenir tranquilles, sans aucune distraction, sans livre ni téléphone portable, ni appareil photo, le temps d'un spectacle de chansons, traversées d'émotion et de solennité.
Pas d'esbroufe, jamais de poudre aux yeux avec Camané, cet artiste a toujours été lui-même, amoureux de la poésie et de la langue portugaises, toujours dans la contemplation et l'interrogation, qu'est-ce que ce fado que nous ont légué les anciens, qu'est-ce que cette âme qui est en moi, qu'est-ce que l'essence de l'amour, l'essence des choses, comment dire l'amour, la vie, une rue, une rivière, Lisbonne, en n'en peignant pas que la surface, le vernis, mais en nous faisant goûter la mie, douce, spongieuse, fondante.
Dès son premier album "Uma noite de fados" en 1995, enregistré en live, dans un restaurant de fado, Camané définissait sa route, l'épure, l'authenticité, la pureté des textes, la recherche permanente d'un "fado dentro do fado", un fado à l'intérieur du fado. Jamais Camané ne s'est dévié de cette voie, de cette exigence, en misant toujours sur un classicisme halluciné, des textes extraordinaires de tous les poètes d'hier et d'aujourd'hui, une voix qui s'insinue dans toutes les ruelles et avenues de la ville, des mélodies d'une rigueur extrême et bien sûr un accompagnement musical toujours royal.
Ainsi au CAPE, pouvait-on rêver de musiciens plus extraordinaires que ce trio totalement au diapason de l'expression de Camané : Carlos Manuel Proença, à la guitare acoustique, Paulo Paz, à la contrebasse, et José Manuel Neto, qui pour moi est actuellement le plus grand joueur de guitare portugaise, un maître dont l'excellence n'a d'égal que sa discrétion, son jeu aérien et lumineux est toujours au service de la composition et de l'interprète, il mériterait un concert entier à son nom.
Le fado de Camané n'est jamais tragique ni résigné, il erre dans les rues, à travers les lignes de la vie, se souvient et respire, lit beaucoup de livres, parfois s'arrête à un café, retrouve des vieilles connaissances, parle de cinéma et de peinture, parfois se précipite pour rattraper un amour déjà perdu, souvent se dit que cela n'en vaut pas la peine, le fado de Camané est une lettre jetée à la mer, sans autre espoir que de la voir dériver vers des continents lointains, subtil, entre silence et clameur, une longue prière adressée au vent et aux cieux, une voix qui s'écoute dans le miroir pour se rassurer elle-même ...
Le fado de Camané pour moi est le voyage le plus immédiat vers une langue et un pays que j'aime, me voilà dans les places et artères que j'ai connues, qui existent encore dans la vraie vie mais loin de moi, loin et si proches, ce sentiment de l'éloignement étrange et aliénant, cette pure façade d'un immeuble tout craquelé en dedans, me voilà dévoilé, nu et révélé aux yeux du monde,
immergé dans une lumière infinie qui est celle que je voudrai mienne simplement à l'heure de mon dernier soupir.