On peut penser ce qu’on veut de Guillaume Musso mais
certainement pas qu’il est un romancier inconscient du pouvoir de la fiction ou
indifférent à ce que ses lecteurs, professionnels ou non, pensent de lui. On en
veut pour preuve les mots qu’il place dans la bouche de Stéphane Pianelli,
journaliste à Nice-Matin qui se
trouvait, au lycée international Saint-Exupéry de Sophia Antipolis, dans les
mêmes classes que Thomas Degalais, écrivain à succès que son ancien condisciple
interviewe pour chacun de ses livres : « Le
roman le plus médiocre a sans doute plus de valeur que la critique qui le
dénonce comme tel », formule empruntée au critique gastronomique du
film Ratatouille – on a les
références qu’on veut, celles de Musso, jamais en manque de citations, sont
puisées sur une palette très large.
Il ne répugne même pas à l’autocitation imaginaire (on non ?)
quand, à la bibliothèque du lycée où il est venu consulter les archives de
1992-1993, Pauline Delatour, de service à ce moment, lui demande pourquoi il
n’a jamais raconté l’histoire de Vinca, la jeune fille disparue cette année-là.
Elle ne se laisse pas démonter par sa justification – « c’est une histoire triste » – et lui envoie : « Ecrire des fictions pour défier la
réalité. Pas simplement pour la réparer, mais pour aller la combattre sur son
propre terrain. L’ausculter pour mieux la nier. La connaître pour, en toute
conscience, lui opposer un monde de substitution. » Un emprunt aux
entretiens que donne Thomas…
Celui-ci vit à New York, cadre de tant de romans de
Guillaume Musso qui, pour la première fois avec une telle détermination, situe
celui-ci, La jeune fille et la nuit,
en France. On est autour d’Antibes, cette ville, écrit-il en postface, « dans laquelle j’ai tant de
souvenirs. ». Il effectue ce basculement au moment où il change
d’éditeur, dans un « transfert » (il n’aime pas le mot) qui a fait
couler beaucoup d’encre et dont il ne cesse, depuis qu’il a quitté XO, où il a
publié 14 romans, pour Calmann-Lévy, de minimiser la portée. Tout en faisant
remarquer qu’il rejoint ainsi un catalogue riche de grands écrivains au risque,
c’est encore lui qui s’exprime, de quitter sa « zone de confort ».
Admettons, bien qu’on voie mal quels risques il prend.
Son nouveau roman est ficelé avec soin, comme les
précédents. Situé sur un autre territoire, il utilise les solides recettes du
roman à énigme façon Agatha Christie, où les fausses pistes se multiplient à
mesure que se révèle la culpabilité des différents protagonistes.
Thomas Degalais est coupable, cela au moins est sûr, et avec
lui son ami Maxime Biancardini, candidat d’En Marche à la prochaine élection
parlementaire. Ils ne se sont pas vus depuis 25 ans. Ils n’ont rien oublié de
cette nuit pendant laquelle, en 1992, ils ont assassiné un professeur de
philosophie accusé par Thomas d’avoir violé Vinca, la fille dont il était
amoureux. Mais, au-delà de l’acte commis ensemble et de la disparition, en même
temps, de Vinca, ils ne savent pas plus que nous combien d’éléments ont
convergé pour faire des événements une pelote de nœuds serrés dans laquelle il
est presque impossible de trouver quelque innocence.
Bien sûr, et parce que Guillaume Musso n’est pas plus Agatha
Christie que La jeune fille et la nuit
n’est Le meurtre de l’Orient-Express,
une des créatures du roman est plus maléfique que les autres et peut prendre
sur elle le poids des fautes qui encombraient les autres. Tant mieux, au moins,
pour le confort moral du lecteur que l’écrivain ne bouscule pas trop.
On mentirait en affirmant qu’on n’a pas pris de plaisir à traverser, sur
le rythme soutenu qui convient à une lecture calibrée pour accrocher
l’attention, et qui empêche en même temps de s’arrêter aux clichés semés comme
les cailloux du Petit Poucet, un ouvrage efficace. Après tout, quand on ouvre
le Musso annuel, on sait à peu près à quelle littérature s’attendre. De ce
point de vue, rassurons ses fans : ils n’auront pas de véritable surprise
en dehors de celles ménagées par le récit.