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Pourquoi je me suis tue

Publié le 21 mars 2019 par Lana

Pendant la première année et demie de ma maladie, je n’en ai parlé à personne. Je me suis tue sur mon mal-être, sur mes symptômes.

Quand je témoigne, la question de savoir pourquoi revient souvent.

Je vais essayer de répondre à cette question.

D’abord, je n’avais pas les mots pour parler de mes symptômes. Je ne savais même pas nommer l’angoisse.

J’avais aussi des moments de quasi mutisme. Je me souviens d’un jour où ma mère m’a demandé ce que je lisais, et il m’a fallu un effort considérable pour sortir « un truc de Gide ». Chaque question me semblait intrusive, même une aussi anodine que celle-là. Alors comment parler des mes sentiments? Je me sentais envahie par les gens, leurs regards, leurs questions, je me renfermais sur moi-même. J’étais physiquement incapable de parler de mon ressenti, parfois de parler tout court.

Pourtant, j’étais persuadée que si je parlais de mon mal-être, j’en guérirais. J’espérais qu’un adulte me parle, c’est pour ça qu’il m’est arrivé par deux fois de laisser voir mes cicatrices d’automutilation que je cachais habituellement. Mais ce n’est pas arrivé. Seul le prof de gym m’a demandé si ça allait, parce qu’il me trouvait toujours à cran, mais devant d’autres élèves et alors que j’allais mieux. Je ne lui ai donc rien dit. Les gens me demandent pourquoi je n’en ai pas parlé à une amie. A vrai dire, je n’y ai jamais songé, à cette époque. J’attendais tout des adultes, les autres adolescents me semblaient aussi impuissants que moi. Pour moi, la connaissance de la vie, c’était les adultes qui l’avaient, c’était eux qui pouvaient trouver une solution à mes problèmes.

On m’a aussi demandé pourquoi je n’en ai pas parlé quand j’allais mieux. Simplement, parce que j’avais l’impression que c’était derrière moi, que j’en avais fini avec cette souffrance et que ça ne valait plus la peine d’en parler.

En parler, c’était aussi révéler ma folie à des gens normaux. Je me sentais seule au monde. C’était aussi une autre époque, sans internet, avec peu (pas?) de campagnes de sensibilisation à la santé mentale. Je ne voyais pas qui, autour de moi, aurait pu comprendre ce que je vivais. Mes parents m’engueulaient, mes profs m’engueulaient, mes amis s’éloignaient de moi. Je me sentais emmurée.

J’ai bien conscience que je dis des choses contradictoires, mais toutes ces raisons à mon silence coexistaient pourtant. Espérer tout des autres et pourtant se sentir totalement incomprise.

La première personne à qui j’ai osé parler, après un an et demi, était un ami et souffrait comme moi. Je n’oublierai jamais cette nuit où je lui ai parlé de mes automutilations, des mes troubles et où il m’a répondu « Ca ne m’est pas du tout étranger ». C’était une libération. Je n’étais plus seule derrière mon mur.

C’est une des phrases les plus importante qu’on m’ait dit dans la vie. C’est peut-être pour ça que j’ai fait la formation pair aidance. Parce que je sais le soulagement qu’apporte cette simple phrase. « Ca ne me paraît pas du tout étranger ».


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