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Appel pour le livre

Par Thibault Malfoy

« Dans la librairie, les bouleversements récents semblent eux aussi entrer dans une deuxième phase. Comme aux États-Unis, les libraires indépendants ne représentent que 18-19 % du marché français du livre, mais ils restent encore un enjeu crucial pour les éditeurs sérieux : ce sont eux qui font la différence dans la vente de la vraie littérature et des essais. Mais ces librairies indépendantes sont actuellement soumises à de nouvelles menaces qui ne viennent plus seulement des grandes chaînes. Celles-ci – Barnes and Noble et Borders aux États-Unis, la Fnac en France – se trouvent confrontées à de nouveaux concurrents. En Amérique, où il n’existe pas de prix unique du livre, les chaînes ont vu surgir des discounters qui vendent moins cher qu’elles, leur jouant le même tour qu’elles avaient joué aux libraires indépendants. Elles utilisent le livre comme produit d’appel et n’hésitent pas à le vendre à perte (loss leader) pour attirer le public dans leurs magasins. Le phénomène a été spectaculaire l’an dernier avec le dernier Harry Potter : le livre s’est vendu à cinq millions d’exemplaires, dont la moitié chez Wall-Marts et autres et 900 000 « seulement » chez Barnes and Noble. Ces derniers se sont rendu compte que s’ils avaient obligé bien des indépendants à fermer en offrant des remises importantes sur les best-sellers, il s’en trouve d’autres pour leur infliger maintenant le même traitement. Les indépendants ont eux aussi perdu dans l’affaire. Quand le livre s’est trouvé épuisé chez l’éditeur, c’étaient les grands discounters qui en avaient le plus en stock. D’après le New York Times, pendant que les grands éditeurs hésitaient à réimprimer avec tant de livres dans le circuit et préféraient attendre les retours, certaines petites librairies sont allées se réapprovisionner chez les discounters.
Les discounters assurent désormais les ventes de la moitié des best-sellers. Dans leurs rayons, ils n’ont évidemment que les livres figurant sur les listes des meilleures ventes. Le résultat est que les vraies librairies perdent une part essentielle de leurs ventes traditionnelles – comme les éditeurs, ils ont besoin du chiffre d’affaires engendré par les livres à succès pour payer la majorité des titres dont ils ne vendent qu’un ou deux exemplaires par an.
Le même phénomène commence à apparaître en France, en dépit de la loi sur le prix unique du livre [je souligne]. Les hypermarchés ont aujourd’hui la même part de marché que la librairie indépendante (18-19 %). C’est à peu près le même chiffre que les grandes chaînes, la Fnac et Virgin (un peu plus de 20 %. Le reste du marché se partage entre la vente par correspondance, par Internet et en kiosque). Mais les hypermarchés vendent essentiellement des best-sellers, des dictionnaires, des livres pour enfants, des guides, des livres de cuisine, etc. La majeure partie des livres publiés ne les intéresse pas. Télérama cite un libraire de Brest se plaignant que depuis l'ouverture d'une grande surface dans le voisinage il ne vend pratiquement plus de dictionnaires. Comme il existe quelque 700 grandes surfaces du même genre en France, le problème dépasse largement la ville de Brest. »
Le contrôle de la parole
, d’André Schiffrin, La fabrique éditions, 2005, p. 40-41.

Pour signer l'appel pour le livre et militer pour le maintien de la loi Lang, c'est ici. Pour en savoir plus, ici.

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