Le titre se suffit à lui-même. Mordre l’essentiel car il n’y a pas de séance de rattrapage à votre séjour sur terre alors il faut écrire avant de disparaître. Le titre est renforcé par le tableau de Gustave Courbet La Source qui figure sur la première de couverture. On y voit le bas du corps d’une femme nue de dos près d’une source qui coule en cascade le long d’une paroi rocheuse. Son corps et notamment ses fesses sont mis en avant par la lumière alors que la végétation et la roche sont bien plus sombres. Les courbes de la peau sont détaillées et les fesses de la femme sont au centre de la toile. Elle a ses pieds dans l’eau cristalline. C’est la source du ruisseau mais aussi la source de la vie représentée par la femme.
Cet ouvrage est la synthèse des écrits de Christophe Esnault durant quatre années : « Voici ‘l’essentiel’ de ses publications en revues entre 2004 et 2008, augmenté de nombreux inédits. » Seize parties (4×4) composent ce recueil. Cela commence par Rater encore en passant par La splendeur du miséreux, Je ne suis pas mégalo, Je n’aurais pas voulu être un écrivain raté ordinaire pour finir avec Écrivains invisibles. On y trouve de tout : différents styles, différents corps, différentes polices. LE MARCHÉ DE LA NÉVROSE EST UN PEU SATURÉ ; Quand ce livre culte et épuisé sera vendu 200 euros chez les bouquinistes, vous regretterez de ne pas l’avoir acheté aujourd’hui ; Une révolution dépourvue d’humour est un retour à l’ordre. Une utopie avec sous l’emballage un autoritarisme remplacé par un autre ; Vous ne me retrouverez pas pour cette chronique pendant quatre mois. J’emporte avec moi sur une île minuscule (…) cette Comédie humaine du 4.48. Le 4 est toujours présent et fait écho au tangible et à la terre.
Ici, on est au centre du vivant, du palpable. De l’être humain et de ses pathologies et de la nécessité de prendre soin de vos névroses. Il ne s’agit pas seulement d’exister mais de vivre pleinement notre temps sur terre. Plaisir / tomber par terre / se réveillait / envie de crever / avec les filles (…) ses relations sexuelles sont satisfaisantes (…) à nouveau, il bande pour la première inconnue. Recueil de textes retraçant les aléas de la vie d’un homme de la naissance, à la maladie, à la recherche d’un travail, l’envie d’être parent et bien évidemment la mort. Sans oublier l’amour et le plaisir charnel. Les embruns parfument une culotte sur le fil à linge / Contre les rochers les corps nus disent la beauté d’aimer / Un lit dans une ville dissoute aux caresses buccales. On en revient au corps féminin et à sa beauté déjà évoquée sur la couverture du livre.
Il faut mordre, croquer, l’essentiel car dans la vie tout est éphémère.
Alexandre Ponsart
Christophe Esnault, Mordre l’essentiel, Tinbad Poésie, 2018, 336 pages, 26€.