Dans le cadre de la Foire aux livres qui a lieu jusqu’au 14 avril au Grand Palais, le grand libraire Jean-Baptiste de Proyart présente une édition originale des Fleurs du Mal tout à fait exceptionnelle. Certes, il s’agit d’un exemplaire de première émission, bien complet des pièces condamnées. Certes encore, il est habillé d’une étonnante reliure de Charles Meunier en plein maroquin mosaïqué, doublée, illustrée de motifs macabres et conservée dans une riche boîte-tabernacle, fait assez rare. Encore faut-il aimer les reliures très chargées, voire « tape-à-l’œil », que l’on réalisait dans les années 1900, ici pour Samuel Avery, un richissime Américain… J’ai toujours préféré les reliures jansénistes que Lortic exécutait pour Baudelaire, sans doute moins spectaculaires, mais combien plus élégantes. J’eus entre les mains, il y a fort longtemps, l’exemplaire sur Hollande des Fleurs offert par Baudelaire à Madame Sabatier que Maurice Chalvet avait consenti à me montrer ; c’était un ravissement.
Ici, l’exception est ailleurs. D’abord dans les trois dessins et six eaux-fortes de Félix Bracquemond qui témoignent du projet d’une édition illustrée du recueil que le poète et son éditeur Auguste Poulet-Malassis pensaient mener à bien. Ce projet échoua suite à la banqueroute de ce dernier, mais, lorsqu’on regarde les essais proposés par Bracquemond pour l’arbre-squelette que souhaitait Baudelaire, il est évident que le poète ne s’en serait jamais satisfait tant il fait pâle figure à côté du superbe frontispice que grava Félicien Rops pour l’édition des Epaves en 1866, si proche de la gravure sur bois de Jost Amman Adam et Eve croquant le fruit de l’arbre de la connaissance du Bien et du Mal (1587).
Exceptionnel, l’exemplaire l’est aussi par les documents dont il est truffé. Parmi eux, se trouve surtout une lettre de Baudelaire à Poulet-Malassis, datée du 8 janvier 1860. L’auteur y évoque par le menu sa rencontre avec le fantasque graveur Charles Meryon auquel il avait l’intention de consacrer une étude qui n’aboutit pas. Mais le meilleur est à venir : dans le post-scriptum, on trouve ces mots extraordinaires :
« V. Hugo continue de m’envoyer des lettres stupides. Vraiment il m’emmerde [mots biffés par l’expéditeur]. J’efface le mot trop grossier que je viens d’écrire pour dire simplement que j’en ai assez. Cela m’inspire tant d’ennuis que je suis disposé à écrire un essai pour prouver que, par une loi fatale, le Génie est toujours bête. »
![Baudelaire : « Vraiment [Victor Hugo] m’emmerde. » Baudelaire : « Vraiment [Victor Hugo] m’emmerde. »](https://media.paperblog.fr/i/889/8898134/baudelaire-vraiment-victor-hugo-memmerde-L-bJGGqy.jpeg)
