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Quel registre de langue dans la littérature de terroir ?

Par Jcfvc

Quel registre de langue dans la littérature de terroir ?

Dans le texte ci-dessous, j'explique comment j'ai procédé pour transcrire à l'écrit le registre de langue parlée des personnages et du narrateur dans mon recueil de récits, contes et chroniques de la vie dans une petite ville industrielle de province (voir photos attachées). Je me suis dit que ce qui vaut pour ce recueil pouvait également convenir pour un roman de terroir, d'autant plus que l'on retrouve cette manière de procéder dans les dialogues et le discours du narrateur de ma trilogie sur les années soixante. Je serais heureux de partager avec les membres de ce groupe sur la question de l'emploi de la langue locale dans un roman de terroir, car il me semble que trop souvent, la littérature "régionale" fait l'impasse sur cette dimension proprement linguistique d'un roman dit "de terroir". A vous de me dire si je me trompe...

"Comme le sous-titre l'indique, ces chroniques de la vie quotidienne sont écrites, de manière assumée, dans un registre de langue parlée, telle que l'on peut encore l'entendre aujourd'hui en surprenant une conversation dans les milieux populaires de la ville industrielle dont il est question.
C'est cette gouaille particulière, tout à la fois pittoresque et poétique (à sa manière parfois rugueuse il est vrai), que j'ai voulu capter ̶ et contribuer à préserver peut-être ̶ , en choisissant de faire parler mon narrateur et les quelques personnages qui interviennent au cours de passages dialogués, dans une langue peu académique.
C'est du français, n'en déplaise aux ayatollahs de la syntaxe, un parler qui fut enrichi au cours des siècles par les différents apports, patoisants ou non, de toutes les populations échouées dans notre bassin industriel pour y trouver du travail.
C'est ce caractère " synthétique " qui en fait l'originalité et l'intérêt qu'il peut y avoir à ne pas se contenter d'un lexique recensant les mots ou tournures les plus " amusantes ", comme le font déjà très bien les divers lexiques et dictionnaires du parler local parus dans le commerce.
Je me suis efforcé, au contraire ̶ comme je l'ai déjà fait dans les trois romans de ma trilogie ̶ , d'insérer ces expressions dans une trame narrative continue. Mais cette fois-ci, le parler local est employé de manière plus systématique encore, ceci afin de voir comment cette " langue " particulière, pouvait apporter un " supplément d'âme " à la façon dont nos concitoyens tentent de dire le monde, d'exprimer leur tristesse, leur " vezon " ou leur " via " par exemple, qui sont autre chose que le blues des noirs américains, que le spleen Baudelairien ou que le " mal du siècle " des romantiques.

Des auteurs illustres ont tenté de faire cela, bien sûr, et ont réussi dans cette entreprise bien mieux que moi sans doute.
Pour ne citer que deux " pays " et en guise de justification, je me contenterai, très immodestement, d'évoquer la manière dont George Sand fait parler ses personnages dans ses romans champêtres et dans les maîtres sonneurs en particulier.
Et puis, plus proche de nous et de ma manière de procéder, il y a Emile Guillaumin, l'écrivain paysan bourbonnais, qui a " commis " un savoureux recueil de saynètes en langue locale, intitulé 'Au pays des ch'tits gars'.
Dans ce recueil, je me reconnais tout à fait :
- dans sa manière de signaler les contractions de la langue parlée : " Pas d' danger ", " Ah, j'tiens la lampe ", " un moment d'plus ou d'moins " ;
- dans la façon de faire redoubler le nom sujet par un pronom personnel, comme le font d'ailleurs les gens les plus cultivés eux-mêmes, lorsqu'ils parlent à un ami et souhaitent créer plus de complicité entre eux : " La vieille, j'la r'garde pas... "
- dans les entorses grammaticales qu'il se permet, en omettant systématiquement, par exemple, le " ne " ou le " n' " apostrophe de la forme négative : " j'veux pas m'lever d'aujourd'hui. ", " t'as pas encore été assez malade ", " j'ai rien boulotté d'puis c'matin... " ;
- dans la manière dont il " aggrave son cas " envers les " fâcheux ", pour ainsi dire, en allant (quelle hérésie penseront certains !) jusqu'à modifier l'orthographe pour rendre la prononciation locale : "nous aut' aussi ", " Faut ben quèques p'tits moments de plaisir ! ", " t'as pas pus d'tête qu'un gamin d'cinq ans ", " C'est qu'jai l'vent' creux, moi ", " C'est pas c'qu'y m'f'ra prend' la besace pus vite... " ;
- et enfin, noblesse oblige, pour nous autres, qui sommes "nés quelque part " dans notre façon d'abuser du "y" en lieu et place du pronom personnel adéquat: "j't'y'ai dit" au lieu de "je te lai dit" par exemple
Jean-Baptiste Poquelin, lui-même, a d'ailleurs jugé nécessaire de faire parler ses paysans en patois de l'île de France dans l'acte II de son Don Juan . Alors, si le grand Molière se permet de tels écarts par rapport à la norme, pourquoi pas moi après tout...


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