Catarina Cordeiro au Bouneweger Stuff
Vous me permettrez j'espère d’enregistrer votre image dans le dossier « téléchargements » de mon crâne dur ? Cela fait plusieurs semaines qu’on s’est rencontrés autour d’un café, et le texte a tardé ; que voulez-vous que je vous dise, il s'en est allé gambader dans les plaines et les collines, autour des lacs et des montagnes, il s'est gorgé de la sève des arbres et de l'humeur des colibris, il a voleté, fureté, baguenaudé, fugué, sans rien demander, mais en recevant tout, en respirant à fond l'univers qui l'aspirait...Il a tardé le texte, a perdu son train, est resté peinard sur le quai de brume, se demandant qui quoi comment.(C'est ainsi que les hommes sont, prompts à rêvasser de lointains ailleurs et à se désengager de tout ancrage spatio-temporel.)Il me semblait en effet que je devais larguer les amarres et projeter dans le ciel mille formes de nuages astrourdissants.Tel Ulysse, je suis parti et j'ai visé l'horizon. Le vent ayant la faculté de tout balayer sur son passage, j’ai été soufflé par les aiguilles de la montre, poussé, bousculé, éternué, dévalué, et au final beaucoup de choses se sont évaporées en moi. Comme une brise d'un bord de mer, j'ai soupiré, chaviré et caressé l'espoir d'un pieux retour. Voici donc enfin ce texte promis et dû.Si toute relation humaine est une architecture qu’il importe d'échafauder, alors chaque conversation est aussi une nouvelle brique précieuse apportée à l'ouvrage. Malgré tous les progrès que L’Humanité a pu réaliser, nous nous trouvons toujours à deux pas d’un immense abîme rempli de vide. Mais quand arrive le moment où même les questions ne nous semblent plus pertinentes, que faisons-nous ? On continue de contempler le néant, au risque de désirer tomber dedans ? Ou au contraire, on essaye de s'éloigner le plus loin possible et on se force à marcher, marcher, sans se retourner ?A chaque fois que je regarde un visage longtemps, il n’est plus question ni de passé ni de futur, il n’est question que d'un récit-miroir. Je vous vois et j'imagine votre histoire, votre visage est un livre ouvert en constante réécriture. Au début, j’avais des souvenirs précis de notre Coffee Talk, vous m’aviez dit les informations nécessaires et intéressantes. Le principe de ce dispositif étant de discuter librement de tout ce que nous offre le moment, l’ambiance, la circonstance, l'éclairage, les yeux dans les yeux. Nous nous sommes donc accordé une parenthèse pour causer, parler de choses et d'autres. Je me rappelle qu’il était question d’épanouissement personnel et d’entrepreneuriat, de la façon dont il devrait être possible pour chacun/chacune d'entre nous de reprendre en mains sa destinée existentielle et professionnelle.Je restais absorbé surtout par le lumineux éclat de votre sourire. Par la délicatesse nonchalante de votre expression. Par le fait qu'il me semblait voir en vous l'émanation de cette Portugalité qui m'a toujours bercé depuis mon enfance.Mais mieux vaut ne rien rationaliser, je ne suis pas journaliste, je ne suis pas rapporteur, je ne suis qu'un regard fragile et futile, de passage devant vous, à cet instant-là, dans ce café-là. (On dit que les images sont trompeuses. Elles réduisent une réalité tridimensionnelle et dynamique à un cadre limité, elles piègent un morceau de vie dans une cage pour en extraire une nouvelle signification. Il est un fait qu'une même image peut être regardée de plusieurs façons, avec le temps, elle peut se charger de nouveaux sentiments ou idées, être revalorisée ou proscrite pour malséance.) De quoi avons-nous parlé ce jour-là ? Du bonheur simple qu'il peut y avoir à aimer le monde et la vie, à se sentir bien dans sa peau, à réaliser ce qu’on aime, à profiter du temps qui nous est donné, à aimer tout ce qui nous englobe et tout ce qui nous respire, tout ce qui est authentique et tout ce qui ne nous arnaque pas. Depuis quelque temps, c'est ce que vous aviez eu la chance d'expérimenter et c'est ce que vous vouliez partager avec d'autres personnes.Vous me pardonnerez j'espère la relative légèreté de ce texte. Quand rien ne m'enchaîne, je préfère laisser la plume courir où elle veut, inspirée par la rencontre et les images qui en ont surgi.
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