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(Note de lecture), Christian Ducos, Plic ! Ploc !, par Marc Wetzel

Par Florence Trocmé

Christian Ducos  Plic ! ploc!Rien ne peut être héroïque dans un haïku (qui exclut l'exceptionnel, même dans le mal) ; rien ne peut être grandiose (jamais la justesse ne s'étale ni n'abonde) ; rien ne peut être dramatique (on sait d'avance qui va gagner ou perdre, et c'est le monde, unique acteur, seules source et issue de toutes les tensions). Cela n'exclut, pourtant, respectivement, ni la vaillance, ni la noblesse, ni la gravité.
Une première force de la poésie de Christian Ducos est qu'elle sait apprivoiser le devenir. Bergson a tort : la discontinuité, la solidité, la répétitivité des mots peuvent ne pas trahir ou dénaturer la continuité, la fluidité, le jaillissement de nouveauté du courant des choses. Il suffit de restituer comment le réel en est arrivé là, et de suggérer ce que signifie « se produire ». La parole inspecte les points de départ et d'arrivée de l'état de choses, se glisse à l'intérieur de l'élan d'existence, colonise la métamorphose en cours, magnifie le processus, célèbre en tout comme une transfiguration actuelle. Ainsi le poète ne dit plus « je suis chauve », « le bouquet se fane », « vieillesse ennemie », ou même « un batracien progresse » mais :
« le temps a passé
sa main dans mes cheveux
et les a gardés 
» (p. 18)
« de temps à autre
au pied du vase
un pétale 
» (p. 21)
« dernières bougies
les plus difficiles
à souffler
 » (p. 49)
« de lotus
en lotus
la grenouille
 » (p. 19)
Cette merveilleuse impression qu'ici le temps devient capable de se formuler lui-même vient de l'art qu'a Christian Ducos de saisir et fixer, comme de l'intérieur, la nécessité des états successifs. Ici, pas de psychologie (les hommes n'y réagissent pas les uns aux autres), pas de technologie (les hommes ne réagissent pas à l'indifférence du monde), pas d'écologie non plus (le monde ne réagit pas aux caprices des hommes), mais le compte-rendu, incessant et exclusif, d'une réaction du monde à lui-même. Que la nature agisse toujours par les voies les plus simples, au mieux (en tout cas au moins mal), jamais en vain (elle ne produit que des catastrophes recyclables), par une sorte de sagesse sans conscience (elle nous laisse lire des fossiles qu'elle n'a pas écrits, elle renonce à produire ce qu'elle échoue à reproduire …), voilà l'atelier immanent de la réalité, son auto-archivage dynamique, ses coulisses sans paravent, dont le serein haïkiste se fait secrétaire extralucide et espion rieur :
« le corbeau se pose
la branche
ne tremble pas 
» (p. 30)
« le temps fraîchit
son chant faiblit
la cigale
 » (p. 35)
« avant ce vol parfait
larve au fond de l'étang
la libellule 
» (p. 54)
Exemple parfait, ainsi, d'un avant-match vu du seul monde :
« pelouse baignée de soleil
dans quelques secondes
une pluie de crampons 
» (p. 50)
Et les rares fois où l'homme intervient, c'est donc mains nues, l'esprit comme facultatif, le cœur soucieux du seul équilibre :
« jusque dans la haie voisine
fermement raccompagnée
l'araignée du salon 
»  (p. 48)
Les rares fois où les hommes interagissent, c'est une pitié impavide qui vient constater leur nature injuste, en enregistrant comme des épidémies d'exclusion, des inondations d'abandon, des séismes de barbarie :
« quelle tristesse
tout le monde dans son chez-soi
sauf ceux qui n'en ont pas 
» (p. 54) 
Christian Ducos est un homme profond, qui demande (au-delà du joli, du pittoresque, du sublime même) ce que pourrait bien être la beauté pour elle-même. Sa question est quelque chose comme : l'harmonie, hors de l'homme, a-t-elle besoin de s'apparaître ? Et le sourire énigmatique d'un mucus gluant (à la fois, chez les gastéropodes, lubrifiant de chaussée, colle à grimpette et sécrétion d'un tapis médicinal) nous répond :
  
« même sur la beauté
elle baverait
la limace
 » (p. 56)
Ce que dit la courte et forte préface de ce recueil (que la constitutive fadeur du haïku est sans naïveté, qu'il est une « bêche qui creuse au cœur du banal jusqu'à heurter le roc du réel », qu'il paralyse le sens pour nous figer dans le silence qui le contient, - et même que ce sens se dérobe quand il ne renvoie qu'à lui-même, exactement comme s'abolit pour elle-même la nature dans le circuit géant, mais fermé, de sa présence) en électrise et affine la lecture, levant toute prévention de butineur circonspect de ces microcosmiques trouvailles, comme le dit merveilleusement l'une d'elles :
« bouquets parfaits du fleuriste
le papillon
hésite
 » (p. 50)
Humour stoïcien d'un auteur – comme délicat chirurgien de l'étoffe des choses – qui, par le seul inventaire des moyens de présence légitimes et suffisants du monde, aide à pardonner à la mort :
« la terre tourne
jusqu'à ce qu'un jour
sur nous elle se retourne » (p.37)
Marc Wetzel

Christian Ducos – Plic ! Ploc ! - Le Cadran ligné, avril 2019, 64p., 14€. Lire d'autres extraits du livre.


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