
L'exercice est périlleux. Mais, d'un point de vue de la fiction, totalement possible. Faire parler une rue. Plusieurs auteurs ont réussi à faire parler des animaux pour dire un fait, raconter une expérience humaine. Je pense à Nganang, Mabanckou ou Waberi. Mais faire parler une rue, il fallait tenter la démarche. C'est Pierre Kouassi Kangannou qui nous propose une telle approche...
Rue 171 ou discours pluriels ivoiriens
Le projet de Kouassi Kangannou porte une pluralité de discours et d’attitudes souvent antagonistes. Celle des élites et des illettrés, celle des puissants et des pauvres, celle des nouvelles religions et des anciennes croyances locales. Il y a aussi un discours sur l'histoire du pays des sept merveilles qui ressemble étrangement à une trajectoire de la Côte d’Ivoire. La rue entend tous les bavardages de celles et ceux l’empruntent et elle restitue leurs mots, les maux qu’ils portent avec beaucoup d’humour, de joie. On sent que cette rue est ensoleillée, fréquentée, passante, loin d’être un cul de sac. On y voit l’avenir de ces élèves, ces lycéens. On y pressent la fuite vers l’Europe. On contemple le développement de système « D » de populations précarisées. Kouassi Kangannou a dû se poster à des coins de rue, dans des maquis, des cybercafés pour entendre toutes ces voix.Rue 171 ou la monochromie d’une langue
En faisant parler une rue, Kouassi Kangannou s’est lancé dans une aventure délicate et complexe. Car ce n’est pas une rue parisienne ou montpelliéraine qui parle. C’est la rue d’un quartier populaire africain où les langues sont multiples. Le français, le créole citadin (genre rouchi en Côte d’Ivoire), les langues ethniques. De ce patchwork de langues, il n’est pas question dans ce roman. Au-delà de l’humour, le style de Kouassi Kangannou est très classique, avec peu de variation avec les autres genres. C’est une critique un peu sévère. Mais, elle fait perdre un peu la crédibilité de la voix de cette rue. Je chipote. Parce que le texte est très bien écrit, engageant et habité par l’amour de l’écrivain pour cette rue.Philippe Kouassi Kangannou, La rue 171Editions Eburnie, première parution en 2017, en lice pour le Prix Orange pour l'Afrique