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(Note de lecture), Michèle Métail, Portraits-Robots, par Olivier Penot-Lacassagne

Par Florence Trocmé

Michèle Métail  portraits-robotsIl m’aura fallu quelque temps pour apprivoiser la dernière publication de Michèle Métail. Portraits-Robots est un opuscule simple en apparence et de lecture facile. Mais sa simplicité est un leurre : le matériau résiste. Le titre lui-même, suggestif, s’obscurcit par ajouts dès le livre ouvert : Quelques/portraits-robots/en pied/rehaussés/de couleurs/véritables. La page suivante moque, sous la forme d’un Envoi, « l’éditeur de la rive gauche »*, à la « lecture optique », au « regard distrait », au « refus poli ». Portrait ressemblant, se dit-on, à tel ou telle dont nous tairons le nom mais dont l’évocation allume le regard, colore le front, salit la bouche ou énerve la voix, c’est selon.
Chère Michèle Métail, j’ai pris un grand plaisir, après cet « Envoi » au ronchon anonymé, à déambuler d’une esquisse à l’autre, rassemblées en huit séquences thématiques abondamment déclinées : « Profil grec », « Ich bin ein Berliner », « Gens d’Edenkoben », « Viennoiserie », « Les Marseillais, peuchère ! », « Le tout-Paris », « Helvétisme », « estampes friponnes ».
Prenons la première séquence. « Le Cynique dans une amphore », « l’Épicurien du jardin Amalia », « Le Stoïcien sous le portique », « La Muse » ou « L’Apollon au belvédère » sont quelques-uns des douze portraits-robots proposés. Dix énoncés juxtaposés (la plupart nominaux) les constituent. Ressemblent-ils au Cynique, à l’Apollon, au Gymnaste ou au Marathonien d’antique mémoire ? Quoi qu’il en soit, les mots posés comme autant de traits en signalent la présence. Leur combinaison en dessine les contours, en saisit les replis. Plastique et intériorité du type recherché sont approchés et imaginés d’un mot ou d’une expression. Ainsi du Stoïcien :
raison pure
cas de figure
visage impassible
état amorphe
conscience tranquille
esprit de rigueur
courage de ses opinions
sexe indifférent
poids d’un argument
posture académique
Ramassé, le portrait s’étoile en suggestions. L’analogie n’arrête pas le regard, le rapprochement ne fige pas le vagabondage de l’esprit. Bien au contraire, chaque trait, essorant le lieu commun, se donne avec fraîcheur dans son détachement, sa proximité, son voisinage. Toute articulation absente, l’ensemble forme parfois une phrase complexe qui, combinant les signalements, ne se laisse pas ramener à l’usuelle linéarité narrative (par exemple : « Le conservateur de musée », « Le technicien de Caputh », « Le cocher de fiacre place des héros », « Le cavalier de l’école espagnole d’équitation »).
Les évocations culturelles, les allusions historiques, les sous-entendus littéraires, métissés par d’innombrables trouvailles qui enrichissent et défont la ressemblance attendue, composent une « imagerie mentale à la manière d’Arcimboldo et de Nicolas de Larmessin ». De ce livre, lu tous sens éveillés, on aime la vitalité et la précision prospective. Et c’est autant l’image finalement proposée que le matériau brut de la langue, inlassablement travaillé, qui saisissent le lecteur. Chaque personnage est à la fois texte et prétexte. Importent le trait de plume, habile à représenter, à dévoiler, et le mot juste, qui rehausse et donne à voir.
Le graffeur

tête d’affiche
cheveu en brosse
mine de plomb
œil d’une lettre
main-d’œuvre
caractère gras
langue verte
rouge-gorge
sang bleu
colère noire
bombe à retardement
jambes à son cou
au pied du mur
Olivier Penot-Lacassagne

Michèle Métail, Portraits-Robots, Les Presses du réel, coll. « Al Dante », 2018.

On peut lire ce portrait et quelques autres dans l’anthologie permanente de Poezibao.


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