J’ai vu passer sur internet une pétition pour que l’émission littéraire La grande librairie invite aussi les auteurs publiés par les petites maisons d’édition.
Cette pétition part d'une bonne intention et d'un constat exact. Les petites maisons d’éditions indépendantes et leurs auteurs sont effectivement ignorés par les médias de grande diffusion mais cela relève un peu de la découverte de la lune !
Nous sommes là dans un circuit industriel dans lequel tout n'est d'ailleurs pas à jeter mais qui, en toute logique, défend âprement son monopole. Il s’agit de temps d’antenne, rare et cher, et de concurrence féroce entre grands groupes. Dans une telle foire d’empoigne, difficile de croire qu’un animateur aussi bien intentionné soit-il puisse avoir la liberté de réserver quelques minutes voire quelques secondes de plateau à un auteur inconnu publié par un éditeur discret ! Voila qui est bien dommage mais il y a plus préoccupant.
Lorsque j’ai commencé à publier tant bien que mal dans les années 80, deux dispositifs pouvaient encore donner une chance infime à des inconnus, méconnus et débutants non recommandés car sans réseau d’accéder à un début de visibilité : quelques prix littéraires décernés sur manuscrits et des bourses d’écriture. Tout cela n’était déjà certes pas parfait et affecté de fréquentes dérives voire parfois de magouilles mais avait au moins le mérite d’exister.
Quelques auteurs et quelques œuvres ont pu ainsi bénéficier d’un petit tremplin vers la notoriété. Beaucoup n’ont pu transformer l’essai, comme on dit dans le ballon, et quelques-uns, devenus de vrais professionnels de la constitution de dossiers de candidature à ces aides et à ces prix, en ont habilement vivoté.
Il suffisait en ces temps de début d’assistanat littéraire de pouvoir faire état d’une première publication, même confidentielle et en principe à compte d’éditeur, pour être déclaré éligible.
Il n’en va plus de même aujourd’hui. Les prix littéraires conséquents et médiatisés décernés sur manuscrits se sont considérablement raréfiés, notamment dans le secteur de la poésie. Pire, certains de ces prix débouchant jadis sur une publication sérieuse profitant donc à un lauréat inconnu ou débutant ont inversé leur fonctionnement et gratifient désormais des auteurs confirmés. C’est ce qui s’appelle passer des couronnes de laurier aux couronnes mortuaires. Il ne s’agit plus d’un jury qui sort le lauréat de l’ombre mais d’un lauréat qui éclaire le jury. Le mieux est d’en rire car ce n’est que pathétique mais il y a plus vicieux.
L’attribution des bourses littéraires relevant de ce qu’on appelle les aides à l’écriture a glissé sur la même pente.
Ces bourses ne sont pas distribuées comme des petits pains. Pour être admis à présenter un dossier de candidature dont on se demande si l’argumentaire et la forme ne sont pas plus importants que le fond du projet littéraire, il faut non seulement faire état d’au moins un livre publié à compte d’éditeur, ainsi que cela était toujours requis, mais encore établir désormais que ce livre fait l’objet d’un contrat d’édition classique assorti d’une diffusion et d’une distribution suffisantes en librairie.
Il est même fréquent qu’un tirage minimum soit exigé (500 exemplaires pour le roman et 300 pour la poésie, ce qui, en France, est déjà considérable pour un premier livre d’un auteur en devenir). Or, celles et ceux qui ont besoin d’être aidés, en particulier les jeunes, sont justement les moins à même de satisfaire à ces critères, notamment à cette exigence supplémentaire de diffusion et de distribution. Cela signifie en résumé que plus que jamais, on ne prête qu’aux riches.
Le résultat de ces conditions de plus en plus restrictives à la possibilité de présenter une candidature à ces dispositifs d’attribution de bourses ne s’est pas fait attendre. Seuls les auteurs déjà lancés dans le circuit et, répétons-le au passage, les virtuoses du dossier bien ficelé, bénéficient du système. Les autres resteront à la porte et ceux qui décideront de s’aider eux-mêmes dans une démarche qualitative et raisonnée d’auto-édition se verront traités avec le même dédain que s’ils publiaient à compte d’auteur chez n’importe quel prestataire douteux, ce qui est pourtant radicalement différent.
Dans un tel contexte d’exclusion, difficile de ne pas en conclure que les seuls critères qui devraient pourtant prévaloir, l’intérêt et la qualité du texte, semblent passer au second plan.
Note : à qui verrait éventuellement dans mon analyse l’expression d’une plainte ou d’une frustration personnelle, je tiens à préciser que j’ai bénéficié d’une bourse du CNL (Centre National du Livre). J’aborde donc ces sujets sans passions tristes.
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