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Le Goncourt de la nouvelle à Caroline Lamarche

Par Pmalgachie @pmalgachie
Il n'y avait pas qu'un Goncourt aujourd'hui, il y en avait trois. Celui du premier roman pour Marie Gauthier (Court vêtue, Gallimard). Celui de la poésie pour Yvon Le Men. Et celui de la nouvelle, sur lequel je m'attarde, pour Caroline Lamarche (Nous sommes à la lisière, Gallimard). Avec le souvenir d'une conversation, en 2012 sur le Silon à Saint-Malo, au cours de laquelle elle et moi parlions de chiens sans savoir combien ce thème animalier serait d'actualité sept ans plus tard...
Le Goncourt de la nouvelle à Caroline Lamarche Les titres des neuf nouvelles de Caroline Lamarche dans Nous sommes à la lisière nomment leurs personnages, le plus souvent des animaux : Frou-Frou, Mensonge, Ulysse, Elie, Horatio, Tish, Merlin, Rudi. Une cane, un cheval, un hérisson, un papillon, un rat, un chat, un merle (peut-être), un écureuil. (Si vous avez compté, vous aurez constaté qu’il en manque une, on y viendra.) Encore ces noms leurs sont-ils venus par des détours parfois complexes. Ulysse, par exemple, est d’abord l’Ulysse de Joyce, un roman que la presque compagne de Zoran n’a jamais réussi à lire alors que ce livre est, ce soir-là, avec le professeur Meyer, au centre de la conversation. Quant à elle, elle préfère éviter le sujet « car il me paraît épineux. Epineux, oui, hérissé de piquants, un peu comme un hérisson qu’on ne sait par quel côté saisir – cela arrive pour les livres aussi. » Un hérisson, précisément, elle en a croisé un sur la route la veille, en venant chez Zoran (le couple n’en est pas tout à fait un, leur vaisselle est aussi dépareillée que le sont l’homme et la femme). L’animal gambadait sur le macadam, au mépris du danger, et elle a freiné pour ne pas l’écraser. Elle est sortie de la voiture, a ramassé le hérisson et a cherché un endroit où elle pourrait le déposer à l’abri des véhicules. Depuis, elle se demande si elle a bien fait ou si, au contraire, le lieu qu’elle a choisi n’allait pas pousser le hérisson à reprendre la direction de la route. « Bref, je pensais à cet animal comme à moi-même : quelqu’un qui se hâte avec ardeur vers un but (mais lequel ?) et que la vie, sans cesse, contrarie ou place dans des situations potentiellement périlleuses. » Qu’est-il advenu de lui ? Ulysse, le roman, elle sait : l’exemplaire qu’elle avait acheté en se disant qu’il était temps de découvrir ce chef-d’œuvre universellement salué comme tel a fini, projeté par sa lectrice exaspérée de n’y rien comprendre, dans la Méditerranée. Remplacé désormais, dans l’esprit de la narratrice, par le hérisson auquel elle continue à penser avec inquiétude : « Je décide de l’appeler Ulysse. Mon Ulysse. Qui n’a pas sombré, lui, dans une mer corrosive, mais que j’aime à imaginer, en ce doux soir d’été où je voudrais être loin d’ici, blotti sous le ventre bienveillant d’une vache. » La lisière entre le monde animal et les sentiments humains est aussi le lieu imaginaire dans lequel se développent les autres nouvelles. Elles installent la confusion dans la manière dont le monde se révèle, parfois se trouble comme une eau obscurcie par la vase. C’est vrai aussi pour le texte dont le titre renvoie à des prénoms de personnes. Lin, Clet, Clément, Sixte, Corneille et Cyprien sont des saints désormais oubliés dans la liturgie, devenus aussi indifférenciés que les fourmis dérangées par des enfants en promenade. Et encore : peut-être seul le grouillement des insectes est-il la cause de notre possible aveuglement devant une humanisation qui serait présente malgré tout.

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