Magazine Cinéma

Le Pub (Avril 2019) – Mission

Par Le7cafe @le7cafe

La musique d’Ennio Morricone et une guerre pour la paix.

J’ai un peu de retard sur avril, mais qu’à cela ne tienne ! Après avoir visité la cathédrale Notre-Dame de Paris avec Le Bossu de Notre-Dame, continuons notre route avec un des 45 films recommandés spécifiquement par le Vatican : Mission. Mission, c’est l’histoire du Père Gabriel (Jeremy Irons) qui fonde avec l’aide du Capitaine Mendoza (Robert de Niro) une mission auprès des Indiens Guaranis en Amérique du Sud. Mais alors que tout porte à croire que l’endroit est un paradis sur terre, les tourments de l’Europe vont bientôt traverser les mers et mettre à mal le délicat équilibre des chutes d’Iguazu…

https://media.senscritique.com/media/000016613753/source_big/Mission.jpgLes belles cascades !

MISSION

Réalisateur : Roland Joffé

Acteurs principaux : Jeremy Irons, Robert de Niro

Date de sortie : 16 mai 1986 (France)

Pays : Royaume-Uni

Budget : 16,5 millions $

Box-office : 17,2 millions $

Durée : 2h05

https://lh3.googleusercontent.com/-BVuot_UrmZs/W6J4ao0nl-I/AAAAAAAAJao/p9X_jDhBg3saGoVxLhszXey3GRh_-B4HwCJoC/w800-h800/jeremy-mission18.gifTout ça, c’est du pipeau !

VOTRE MISSION, SI VOUS L’ACCEPTEZ

Pour bien comprendre le film, il est important d’appréhender dans quel contexte il se situe, car il met en scène des évènements historiques pour la plupart véridiques qui ont eu énormément d’impact sur la culture sud-américaine du XVIIIème siècle.

Les personnages principaux de Mission sont un groupe de prêtres catholiques jésuites. Mais kézako, les jésuites ? Il faut savoir qu’il existe différents ordres et congrégations au sein de l’Église catholique. Ce qui fait la particularité des frères jésuites, c’est qu’en plus des trois vœux traditionnels prononcés par tous les prêtres (chasteté, pauvreté, obéissance), ils prononcent un quatrième vœu d’obéissance spéciale au Pape. Le Pape actuel, François, est un jésuite, par exemple – pratique pour le 4ème vœu, il s’obéit à lui-même. La vocation de cet ordre tient en deux aspirations majeures : l’éducation et l’évangélisation.

Ce sont précisément ces velléités éducatives et évangélistes qui ont poussé les jésuites à fonder dès le tout début du XVIIème siècle en Amérique du Sud des reducciones ; soit en français : des missions. Ces missions étaient en fait des villages créés dans le but de civiliser les indigènes dans la forêt amazonienne, en l’occurrence les Guaranis. Tu noteras cependant mon cher Billy que ces colonies n’avaient pas que des intérêts politiques et religieux ; les indigènes étaient libres de les rejoindre ou non, et ceux qui restaient étaient rémunérés pour leur travail – notamment artistique puisque les missions étaient un des plus gros exportateur d’art du continent à l’époque. Elles permettaient de cultiver les peuples, évangéliser les indigènes selon la volonté du Pape, mais aussi et surtout de les placer sous protection espagnole contre les esclavagistes portugais avec lesquels ils se partageaient le continent.

Car il est là le nœud du problème. Les missions durèrent de 1604 à 1750, date à laquelle fut ratifié le Traité de Madrid entre l’Espagne et le Portugal, un traité politique qui redéfinissait la frontière entre les deux territoires des puissances européennes en Amérique du Sud, à la jonction des actuels Brésil, Argentine et Paraguay. Sauf que voilà, c’est précisément sur cette frontière sauvage que se trouvaient les missions. Le Traité avait émergé d’inquiétudes par delà l’Atlantique quant à la prise d’importance des jésuites dans le monde géopolitique, et visait à les flanquer dehors pour laisser les deux pays de la péninsule ibérique faire leurs petites affaires dans leur coin. Un ultimatum avait aussi été posé : si les jésuites ne partaient pas d’Amérique, alors ils partiraient du Portugal, et l’ordre disparaîtrait. Sauf que du coup, les jésuites étaient pas hyper d’accord pour abandonner les Guaranis à leur sort aux mains des esclavagistes à qui le Traité rétrocédait le territoire des missions.

C’est ce qui a mené entre 1753 et 1756 à la Guerre des Guaranis, une révolte des prêtres et des indigènes contre l’envahisseur pour protéger leurs colonies et leur liberté. Autant te dire mon cher Billy que ça a très mal fini. Les indigènes ont été décimés, les missions anéanties, et les jésuites effacés du continent. Et alors même qu’on devait les laisser vaquer à leurs occupations en Europe à la condition qu’ils partent d’Amérique, ils furent quand même expulsés et l’ordre fut dissous en 1767 – quand bien même il fut rétabli quelques temps plus tard et existe encore aujourd’hui. Bref, le zbeul total.

C’est précisément dans ce contexte que se situe Mission, dans une mission au nord de la capitale du Paraguay, Asunción, entre 1748 et 1758. Et quelle magnifique reconstitution ! Nommé à sept Oscars dont celui du Meilleur Film, il remporta l’Oscar de la Meilleure Cinématographie – à juste titre. Les images sont extraordinaires, les plans des cascades viennent tout particulièrement à l’esprit. Mais Mission dispose aussi d’un casting dantesque, avec en tête Jeremy Irons (le plus récent majordome de Batman, Alfred, dans le DCEU, ainsi que la voix originale de Scar dans Le Roi Lion), Robert de Niro que l’on ne présente plus, et même Liam Neeson dans un de ses premiers rôles, avant La Liste de Schindler et autres Taken, et surtout avant qu’il ne rejoue encore un prêtre troublé à l’étranger dans le Silence de Martin Scorsese en 2016.

Mais bien évidemment, LE gros attrait de Mission, c’est la bande originale d’Ennio Morricone, l’immense compositeur à qui l’on doit les musiques de Le Bon, la Brute et le Truand, Il Était une Fois en Amérique ou encore Les Huit Salopards. À tel point que la bande originale de Mission est aujourd’hui considérée comme une des meilleures de tous les temps et qu’elle fut pendant un temps le plus gros succès de musique de film au monde. Mais j’y reviendrai.

https://i2.wp.com/www.dieulois.com/racine/movies/mission-deniro18.gifFaut pas pleurer comme ça Robert, tout va bien !

AU NOM DU FILS

Je ne pense pas t’étonner en te disant que Mission est un film catholique. Pour autant, ce n’est pas parce que c’est un film résolument religieux que c’est un film de propagande, et j’ai même envie de dire qu’on peut difficilement l’accuser de prosélytisme au vu de sa fin. Toujours est-il que c’est bien plus qu’un film historique.

Déjà, par son sujet même, le long-métrage retrace une partie de l’histoire de l’Église, et montre des faits qui sont toujours d’actualité. Par exemple, les prêtres qui visitent les prisonniers. Mais aussi et surtout les missions (les lieux) elles-mêmes, qui font encore à l’heure actuelle partie des principales missions (les actes) de la communauté chrétienne, notamment en Afrique et en Asie du Sud-Est ; des espaces d’éducation et d’évangélisation pour les populations locales, qui les aident à développer leurs richesses et améliorer leur qualité de vie.

Mission s’ancre dans la foi catholique en fonctionnant également beaucoup par analogie avec la vie de Jésus, à travers diverses figures messianiques, à commencer par le prédécesseur du Père Gabriel qui finit crucifié et transpercé en son flanc – une ouverture à la thématique. Père Gabriel, qui précisément est introduit de la façon suivante dans le film :

« ALTAMIRANO – Ils n’avaient pas idée que l’homme qu’ils allaient rencontrer allait être lié à leurs vies de façon inextricable. »

Littéralement, on parle du prêtre, mais figurativement c’est bien le Christ qui est évoqué. Sa vie transparaît à travers celles des jésuites de la mission des Guaranis, notamment à travers Gabriel mais aussi à travers Mendoza, particulièrement durant la longue séquence où ce dernier porte sur son dos un énorme sac d’armes et armures, tel Jésus portant sa croix – un parallèle encore renforcé par le fait que, comme lui, Mendoza tombera trois fois sur le chemin.

La vie des prêtres, et particulièrement la question du vœu d’obéissance, sert aussi de porte vers une des thématiques principales de Mission : la liberté. Qu’est ce que la liberté et qui est vraiment libre ? On peut penser de prime abord que la question touche uniquement les Guaranis, mis en péril par les querelles politiques entre l’Espagne progressiste et le Portugal esclavagiste. Et puis les missions se targuent de garantir la liberté aux indigènes, mais n’étaient-ils pas finalement plus libres dans leur forêt quand personne n’allait les emmerder ? Alors certes, ils gagnent en culture, en éducation, mais à quel prix ? Pourtant, les jésuites ne sont pas forcément mieux lotis. Cela est particulièrement marqué dans une discussion entre le Père Gabriel et le Père Fielding, où ce dernier insiste pour libérer Mendoza de son fardeau (la croix métaphorique citée précédemment), ce qui lui vaut la réponse suivante :

« GABRIEL – Mais lui désire continuer. Et c’est à lui de décider. Nous ne sommes pas une démocratie, nous sommes membres d’un ordre. »

Et c’est là toute l’idée de la liberté telle qu’elle est défendue par l’œuvre. La liberté est défendue par les instances qui la gouvernent ; la liberté individuelle est garantie par la structure à laquelle les individus se soumettent. Tant que les prêtres sont membres de l’ordre jésuite, ils sont libres ; de même que tant que les Guaranis sont dans les missions, ils sont libres d’être libres, tandis que si personne ne les protégeait, alors ils seraient « libres d’être esclavagés » – pour citer le film. La liberté individuelle ne peut être totale que si celle de tous est restreinte, autrement dit, la question est celle de l’opposition entre liberté et assujettissement.

https://le7cafe.files.wordpress.com/2019/05/773cd-mission1.jpg?w=630&h=277La première des nombreuses figures messianiques du film.

DEUX LANGAGES UNIVERSELS

Fondamentalement, Mission est un immense jeu de contrastes. Tout élément ou presque répond à un autre de façon antinomique. C’est le feu destructeur contre l’eau purificatrice, c’est la pâleur du village de Mendoza contre les couleurs de l’Amazonie, c’est l’Église spirituelle contre l’Église étatique, c’est le Portugal contre l’Espagne, c’est la sauvagerie contre la civilisation.

« ALTAMIRANO – Notre Europe est une jungle par rapport à laquelle votre jungle est un jardin à la française. »

De tous ces contrastes, il en est un qui prend la primeur sur tous les autres : c’est l’opposition entre la musique et la guerre, la dualité entre deux langages universels incarnés respectivement par Gabriel et Mendoza. Comment communiquer avec d’autres qui n’ont de commun avec nous que leur humanité ?

La première chose que le Père Gabriel fait en rencontrant les Guaranis, c’est leur jouer de la flûte. La première chose que Mendoza fait, c’est leur tirer dessus. C’est là toute la base de la réflexion. Il y a deux choses que n’importe qui sur cette planète peut comprendre – bon peut-être pas les sourds, admettons – et ce sont la musique et la guerre. L’opposition entre les deux personnages principaux ce joue là-dessus, dès le départ et jusqu’à la fin du film avec la guerre des Guaranis, quand le jésuite opte pour la voie pacifique et décide de célébrer une adoration tandis que Mendoza préfère prendre les armes.

La musique et la guerre sont des langages universels parce qu’ils se passent de mots. C’est précisément de là qu’émerge toute l’importance de la bande originale d’Ennio Morricone, tantôt diégétique (comme dans Amadeus), tantôt accompagnatrice. Ses morceaux sont purement et simplement magnifiques, et se passent – en majorité, si on exclut l’Avé Maria des Guaranis – de paroles. La musique nous parle à travers des notes, des arrangements, des sonorités précises qui vont impacter non pas notre esprit mais directement nos émotions. Elle agit comme le lien qui vient rompre tous les contrastes évoqués précédemment, qui évapore la barrière entre les Guaranis et les jésuites. La fin de Mission devient une guerre pour la paix, et c’est aux personnages, et à nous, de choisir avec quelles armes nous voulons la combattre : une flûte, ou une épée ?

« ALTAMIRANO – Avec un orchestre, les jésuites eurent soumis tout le continent… »

https://addict-culture.com/wp-content/uploads/2018/09/Screenshot_2018-09-30-The-Mission-YouTube1-810x338.jpgIl est pas serein, Jeremy…

LE MOT DE LA FIN

Mission, c’est un film historique et culturel d’une beauté cinématographique et musicale extraordinaire. Mais au delà de la forme, le fond se révèle une grande réflexion philosophique fondée sur des contrastes, entre deux mondes, entre deux hommes, entre deux langages universels.

Pour voter pour le prochain Pub consacré aux films colorés, c’est juste ici : Le Pub – Mai 2019

Note : 8 / 10

« DON CABEZA – Le monde est ainsi.
ALTAMIRANO – Non, il est tel que nous le bâtissons. Tel que je l’ai bâti. »

Le Pub (Avril 2019) – MissionBienvenue dans la famille !

— Arthur

Tous les gifs et images utilisés dans cet article appartiennent à Warner Bros., et c’est très bien comme ça.

Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Le7cafe 77 partages Voir son profil
Voir son blog

Magazines