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(Note de lecture), Antoine Emaz, Sans place et James Sacré, Je s'en va, par Alexis Pelletier

Par Florence Trocmé

La vie continuée

Emaz et Sacré
Les éditions Méridianes publient un ouvrage dans leur « Collection Duo » qui rassemble deux poèmes : l’un d’Antoine Emaz, intitulé Sans place ; l’autre de James Sacré, Je s’en va. On lit évidemment avec avidité ce duo. Le poème de James Sacré accompagne celui d’Antoine Emaz et le fait de lire dans le vers prosé de Sacré « l’insaisissable présent, le vivant / De moins en moins net », on ne peut s’empêcher de penser ce poème comme une élégie, un chant de deuil pour Antoine Emaz, malgré la date d’achever d’imprimer, février 2019. Et cette élégie accueille la poésie d’Emaz comme un présent ouvert, une voix qui fait venir le monde par le travail de la confrontation des images à la puissance des mots raréfiés et rendus plus sensibles dans ce que James Sacré appelle « le sable du temps ». La syntaxe de Sacré est bien là : elle qui convoque la simplicité pour interroger le monde « Jusqu’à quelle nuit ? ». Elle sait aussi que le présent de l’écriture est une solitude qui porte, dans le désarroi, la marque de l’amitié des mots partagés. Je s’en va, qui force la langue, nomme évidemment le on si révélateur des poèmes d’Antoine Emaz. Et la dernière page du poème de Sacré d’affirmer discrètement « ‘‘Je’’ s’arrête en son mot je. ‘‘On’’ continue de bruire / Comme un je silencieux. » Peut-être faut-il comprendre ici, ou plutôt ressentir dans cette parole d’amitié vivante – la mort nous volant tout de l’ami, sauf l’amitié qu’on lui porte – que toute l’œuvre d’Emaz nous est commune. Et c’est bien cette parole du commun, au sens le plus fort de ce terme, qu’il faut vivre comme un substantif, que Sans place désigne. « tôle bleu / et l’horizon tremble au soleil », le poème d’Emaz commence et sans majuscule, il n’a pas de commencement puisqu’il est déjà là. Et tout arrive à celles et ceux qui lisent : une immobilité du paysage qui avec la lumière donne de « très légers bougés dans la couleur ». Le monde se tient là, il nous invite – au-delà de toute volonté d’imposer une idée ou une sensation – à vivre avec lui, en laissant décanter chaque impression qui vient au corps « selon l’heure / la fatigue ». Et c’est le bleu si magnifique du dernier poème de Limite (Tarabuste, 2016) qui vient alors : « Bleu sans arrêt. // D’un seul tenant le ciel. ». On s’arrête à ces phrases – page 11 du poème d’Emaz – parce que, ponctuées, elles donnent le commun du poème comme un présent d’avenir qui n’accepte aucune naïveté : « Sans prise devant autour dedans. // Inhumain. // Évidant. » Et, dans le deuil de notre lecture, on aperçoit que le duo Sacré et Emaz, très humainement – pour ne pas dire très existentiellement – assure  que les mots des poèmes permettent aux lectrices et lecteurs de vérifier les leurs.
Alexis Pelletier
Antoine Emaz, Sans place & James Sacré, Je s’en va, Méridianes. Collection Duo, 2019, 14€

On peut aussi lire sur ce livre une note de Ludovic Degroote.
Et Poezibao rappelle l’important dossier d’hommages à Antoine Emaz publié après sa mort, ce 3 mars 2019.


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