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(Poètes) Claudia Rankine

Par Florence Trocmé

Claudia RankineClaudia Rankine est une poète et universitaire afro-américaine des Etats-Unis née en Jamaïque en 1963. Son écriture formée à la poésie et à la réflexion sociologique tente de « replacer le lyrisme dans sa réalité ». Elle mêle flux de conscience, archives, images et vidéos dans ses essais éclatés de poèmes en prose. Son livre Citizen. An American Lyric (2014) a été le seul livre de poésie à entrer dans la liste des best-sellers du New York Times et fut couvert de prix, comme une tentative de voix morale entre Obama et Trump, à l’époque des révoltes contre la police par le mouvement Black Lives Matter. Citizen explore le racisme, pas seulement dans des scandales tragiques en une démocratie qui les condamne, mais aussi dans ses disséminations subtiles en un quotidien semblant anodin. Un je/tu hypersensible à la condition noire actuelle tente de la redéfinir, dans une mouvance post-coloniale ou « post-blackness ». L’intégration d’images analysées dans leurs non-dits fait rebondir une pensée politisée en dialogue. Un tableau du peintre afro-américain Glenn Ligon répète une phrase des années 1920 de la romancière noire précurseuse Zora Neale Hurston en bandes de majuscules taguées qui dégoulinent foncées sur clair jusqu’à l’illisible : « I feel most colored when i am thrown against a sharp white background » (« Je ressens au plus fort ma couleur quand je suis projetée sur un fond blanc flagrant »). Ce qui tire l’essai sociopolitique de Citizen vers la poésie est peut-être cette voix émue et non-naïve, construite de rébellion, de démystification et de désarroi, attentive au rythme des tropismes de pensée, à des images lyriques presque refoulées, à une polysémie traversant les contextes structurels, aux connotations multiples de mots sensitifs.
Les adjectifs de couleur sont chargés d’émotion, le noir et le blanc évidemment. Le bleu lui-même est polysémique : azur du ciel en idéal consolateur, mais il se reflète aussi dans l’océan qui fut passage des bateaux esclavagistes ; ou bien nuance de beauté de la peau noire, ou possiblement hématomes, ou gyrophare ; ou allusion au blues musique populaire dépassant son spleen afro-américain dans la sophistication et la recherche d’ouverture du trompettiste de jazz Miles Davis (dans Kind of Blue, « sorte de bleu », un de ses disques les plus célèbres).
Notons enfin que l’influence de Claudia Rankine a accompagné l’émergence d`auteurs qui recherchent une nouvelle identité expérimentale brisant la mélancolie d’une ethnicité ressentie tragiquement : par exemple la poète noire Dawn Lundy Martin, dont le beau livre Discipline vient de paraître chez Joca Seria, traduit par Benoit Berthelier, Maël Guesdon et Marie de Quatrebarbes.
Bibliographie sélective :
Nothing in Nature is Private, Cleveland University Poetry Center 1995
The End of the Alphabet, Grove Press 1998
Plot,
Grove Press 2001
Don’t Let Me Be Lonely, Graywolf Press 2004
Citizen: An American Lyric , Graywolf Press 2014
Traduction française :
Si toi aussi tu m’abandonnes, Editions José Corti 2010 (traduit par Maïtreyi et Nicolas Pesquès)
Sitographie :
Autre extrait en anglais et français de Claudia Rankine :
La peinture de Glenn Ligon reproduite dans Citizen :
Ecouter la voix de Claudia Rankine dire un extrait de Citizen, avec le texte anglais à lire
Courte interview de Claudia Rankine à la télévision nord-américaine
Extension du livre Citizen : le vidéopoème « Situation 7 », par Claudia Rankine assistée de l’artiste visuel John Lucas
 [Jean-René Lassalle]


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