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(Note de lecture), Gérard Noiret, En passant, par Gérard Cartier

Par Florence Trocmé

Théâtre de poche

Gérard Noiret  en passant
Gérard Noiret publie peu : son dernier recueil, Autoportrait au soleil couchant (Obsidiane, prix Max Jacob), remonte à 2011. C’est dommage, car sa voix est singulière. Aucun poète qui ait su comme lui saisir la vérité des banlieues populaires, où il a longtemps vécu et travaillé, les restituant sans céder à la facilité que pourrait appeler le sujet – sans être savante, sous des dehors de clarté et de fluidité, son écriture ne manque pas de subtilité.
Comme l’indique son titre, ce nouveau recueil est fait d’éclats de réalité notés sur le vif : scènes de la vie courante, instantanés de Venise, de New York ou de Konakry, rencontres de hasard. Tout est saisi dans un étroit compas, êtres et choses, avec une prédilection pour les minimes évènements du quotidien qui témoignent des grandes misères du monde. Les acteurs de ce théâtre de poche, le plus souvent anonymes (même si, au détour d’un vers, on entrevoit John Lennon ou Maurice Nadeau), sont fixés avec une légère distance, une sorte de sympathie clinique – celle qu’on devrait avoir avec soi-même. La mélancolie, et même le sourd désenchantement qui percent dans ces pages, n’empêchent pas l’ironie.
PARVIS
Entre les seins bronzés
À l’étroit dans le corsage
La croix en or
Comme
Le diable dans le bénitier
Les vers sont courts, les poèmes aussi. La référence incontournable dans ce domaine est aujourd’hui, hélas (tant de contrefaçons !), le haïku. Les poèmes d’En passant ont une tout autre forme (ni compte ni mesure apparente), mais leur esprit peut parfois y faire penser, en particulier dans la série de très brèves notations rassemblées sous le titre programmatique La tête haute – une seule ligne faite d’un titre emmanché d’une demi-phrase :
ROCHERS EN BRETAGNE les restes d’Icare sur le sable
Le rapprochement avec le haïku est pourtant trompeur car, autant qu’à l’acuité du regard, ces poèmes doivent beaucoup à l’interprétation des scènes. Une courte pointe est dans la queue, une saillie morale ou politique qui donne sa profondeur au poème. L’exergue finale, empruntée à Jean Lacoste, suggère la méthode de composition : « …dans les illusions d’optique, l’œil [peut] à la fois "se tromper", ou donner une première interprétation spontanée de ce qu’il voit, et ensuite, à force d’attention ou sous l’effet d’une sorte d’illumination, corriger cette première interprétation ou voir les choses autrement, sans que les "sensations" aient changé… ». Les poèmes n’existeraient pas sans ce retour sur le sujet. Peut-être est-ce alors, dans l’approfondissement du sens, que naissent les références à la mythologie (païenne, chrétienne ou historique), comme dans le poème ci-après, qui montre qu’on peut dire beaucoup de notre société en cinq vers, et comme sans y toucher :
PÔLE EMPLOI
Le mal rasé du cinquième
A son chemin de croix
Il imprime chaque matin
Sa face au revers
Du torchon de la sainte
Ce recueil est sans doute un peu bref pour rendre pleinement justice à l’écriture de Gérard Noiret. Il s’agit, prévient l’éditeur, d’un choix dans un ensemble beaucoup plus vaste : souhaitons que celui-ci paraisse un jour. À défaut de chanson pour finir, je transcris cette définition de la poésie qui clôt le recueil, due à une élève lors d’un atelier, peut-être moins naïve qu’il y paraît : « La poésie / C’est quand il y a / Des mots / Et qu’on lève les yeux / En disant Ah oui ! ».
Gérard Cartier


Gérard Noiret, En passant, dessins de Jean-Louis Gerbaud, Obsidiane, 2019, 64 p. 15€.


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