La musique à Carnac
La question se pose dès la première page, dès les premiers sons de Ligne, car les mots pauvres de la lande de Carnac chantent une étrange musique cachée derrière le titre abrupt et la couverture austère du recueil.
« Ciel d’ardoise et de lait gris » à la clef, il ne faut à cette ouverture pas trois douzaines de lignes courtes — et à peine plus de mots — pour exposer tout ce qui va sonner sans jamais quitter les demi-tons jusqu’à la page 47 : « La ligne vibre/au loin/comme une corde ». Une vibration ininterrompue, économe, obsédante comme une pièce de Steve Reich, fondée dans les éléments primordiaux.
Dans une versification brève et hachée, la Ligne de Marie-Laure Le Berre accomplit le prodige de trouver une ampleur entendue dans les grandes prosodies plus guère en honneur en ce temps. Pas de ruptures entre les strophes courtes, mais des liens subtils faisant vivre le balancement où circule la Ligne entre les menhirs. Et la poète ne perd pas la raison dans l’ivresse de si bien chanter : « Souffle dans tes cendres Poète/pour dire si ces mots chantent bien ».
À quoi il faut lui répondre, de derrière ce petit volume si fort habité par la musique, que nous l’entendons parfaitement et sommes impatients d’en écouter davantage.
Arnoldo Feuer
Marie-Laure Le Berre, Ligne, Polder n° 182, 2019, ouverture, Georges Le Fur, présentation, Jean-Michel Maulpoix – sur le site de Décharge