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Henri Lopes : Il est déjà demain

Par Gangoueus @lareus
Henri Lopes : Il est déjà demain
L’année 2018 a eu son lot de pavés. 500, 600, 700 pages… Les auteurs se sont lâchés. Vous conviendrez que pour les modestes lecteurs que nous sommes, la tâche est rude. Henri Lopes fait donc partie de ces auteurs qui nous ont livré des textes denses à l’occasion de la rentrée littéraire. L’écrivain diplomate congolais était attendu sur ce récit autobiographique. Pour de multiples raisons : comprendre l’homme d’état dans un pays marxiste au coeur des années, saisir l’essence de son discours sur le métissage, percevoir la relation entre son travail d’écriture et sa facette de diplomate...
Je l’ai déjà dit aux Lectures de Gangoueus, l’émission littéraire que j'anime, Lopes est le premier auteur congolais que j’ai lu et Tribaliques est ma deuxième lecture « africaine » dans mon adolescence où Jules Verne, Maurice Leblanc ou Sir Arthur Conan Doyle trônaient en maître. J’ai suivi avec intérêt sa production littéraire : Le chercheur d’Afriques, Sur l’autre rive, Le pleurer-rire, Une enfant de Poto-Poto ou Le méridional. J’attendais donc ce récit autobiographique d’un auteur dont les deux dernières parutions ne m’avaient pas particulièrement séduites. Je commencerai par dire que dans Il est déjà demain, Henri Lopes, nous propose un texte d’une plus grande exigence et d’une qualité remarquable pour ce qui concerne l’écriture. C’est une des oeuvres où l’écrivain congolais se dévoile le plus. Même s’il me semble que cet exercice a des limites et la réserve naturelle du diplomate qu’est Henri Lopes pèse considérablement sur cet ouvrage.
Les latrines étaient  situées dans une baraque rudimentaire, repaire des toiles d'araignée, des chauves-souris et des cafards, et dans laquelle était aménagé, au-dessus de la fosse d'aisance, une planche en bois trouée. C'était pire qu'à Poto-Poto. C'était la vie de Maluku, la vie de brousse en France
Le récit autobiographique d’Henri Lopes se découpe, selon moi en 4 grandes parties : Les origines (portant sur l’histoire de sa famille, singulière dans le contexte coloniale de l’AEF), la grande enfance et l’adolescence en France, les années FEANF ou  plongée dans l’univers estudiantin noir ou africain à l’orée des indépendances africaines, Lopes et l’exercice du pouvoir. Et j’aimerais tout de suite vous donner mon opinion : Sur les trois premières parties, d’un point de vue littéraire, le propos d’Henri Lopes est riche, son écriture est remarquable et l’écrivain convoque vraiment des époques, des figures familiales, des femmes, des mentors. On voit l’homme se forger, se former. On ressent constamment sa solitude et sa singularité. Son « Je » est agréable, audible et le lecteur peut comprendre un parcours unique pour ce fils de métis des deux Congo, dans la France des années 40-50. Dans ces années fac, on voit l’homme de réseau qu’il devient par la force des choses et des rencontres. Et d’une certaine manière, on comprend le diplomate qu’il va entre autres devenir. On perçoit aussi son éveil aux lettres, à la poésie. On découvre le lecteur. On a le sentiment qu’Henri Lopes est plus un homme porté par les événements qu’un personnage ayant tracé au burin son parcours. Toute cette phase qui constitue les trois quarts du livre est donc passionnante, car en se livrant ainsi, Lopes ne retient pas sa plume et déploie sa littérature. 
Je lus et relus plusieurs fois ces poèmes. J'en appris quelques-uns par coeur, surtout ceux du Guyanais Léon-Gontran Damas. Dans la constellation de la négritude, ce n'est pas l'étoile la plus grande. C'est celle qui m'éblouissait le plus. Son ton, intimiste, me bouleversait.
Rendez-les-moi, mes poupées noires...
Le rythme de ses vers, tantôt emprunté au jazz, tantôt inspiré des danses de nos villages, me coupait le souffle. Je fermai les yeux et pensai aux soirées autour du feu, à Maluku :
Ils sont venus ce soirOù le tam-tam
Ce que j’appelle La gestion du pouvoir n’est pas exprimé aussi brutalement par l’auteur. D’ailleurs, quand on le lit, on peut dire que cet homme est modeste ou humble. A Congo na Paris, il précise qu'il n'a pas vraiment constitué une menace, n'ayant pas formé de projet ambitieux et de courants de pensée. Vous me direz. Henri Lopes a été premier ministre congolais sous le mandat chaotique de Marien Ngouabi. Les apprentis révolutionnaires qui tentent de développer un marxisme léniniste au Congo ne sont pas vraiment prêts, ils sortent à peine des bancs de l’école, ils ont très peu d’expérience. Le Congo est un pays instable et d’ailleurs ce mandat se terminera par l’assassinat de deux présidents de la république, d’un cardinal et de nombreux hauts fonctionnaires. Quand Lopes rentre au Congo, son mentor à la FEANF, Lazare Matsocota, a été assassiné deux ans avant. Au coeur du système, on sent la langue de l’écrivain devenir pâteuse, hésitante. Le récit littéraire devient un documentaire où le congolais en apprend moins que tout ce qu’il a plus ou moins ouï dire à la conférence nationale de 1991. Si on peut comprendre la réserve du diplomate et de l’homme d’état, on peut reprocher d’avoir traité un tel sujet dans un projet littéraire. Le « Je » était surement trop engageant. J’ai tout de même le discours sur une certaine fragilité sur l’exercice de la gestion de la chose publique.
Henri Lopes : Il est déjà demain
Un autre reproche que j’ai envie de faire à ce texte, c’est la minoration de la question de la littérature dans ce texte. Excepté quand il rencontre Senghor ou les phases d’initiation aux lettres, ces rencontres avec des hommes de lettres sont traitées trop rapidement. Ou encore le clash idéologique sur la question de la négritude au Panaf d'Alger en 1969. Mais surtout, il ne parle pas de son travail d’écriture. Par exemple, la conception du roman Le Pleurer-rire par exemple qui son chef d’oeuvre aurait de mon modeste point de vue été très intéressante à découvrir.  Sachant que ce livre est publié où nouvellement affecté à l’UNESCO, l’écrivain congolais semble être plus libre dans son propos. L’évolution de son écriture vers des sujets plus intimes constitue une progression de sa pensée sur laquelle il aurait pu revenir avec beaucoup d’aisance. Il n’empêche que de nombreuses clés de lecture  sont transmises dans cette oeuvre et permettent de mieux comprendre l’univers de l’auteur.
Vous avez compris que j’attendais beaucoup de ce livre. Je l’ai trouvé largement supérieur à ses derniers textes. Un parcours à découvrir quoiqu’on puisse penser de l’homme politique. La sensibilité qu’être Henri Lopes y exprime reste belle et touchante. 
Henri Lopes : Il est déjà demainEditions JC Lattes, première parution en 2018

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