Magazine Culture

(Note de lecture), Pierre Dhainaut, Après, par Philippe Fumery

Par Florence Trocmé


Pierre Dhainaut  AprèsLe titre du dernier recueil de Pierre Dhainaut, « Après », frappe par sa brièveté et ce claquement qu’il semble infliger au temps, au cours des choses interrompu, malmené. Nous avons en mémoire les écrits de ceux qui ont connu la guerre, la déportation, la perte d’un être cher, la maladie, et qui ont parlé d’un « après » comme si leur vie avait pu ou dû reprendre toute sa place.
Pierre Dhainaut a déjà évoqué les chambres d’hôpital (1),  avec la disparition de son père ou lors d’interventions chirurgicales. Cette fois, comme il en donne lui-même les circonstances à la page 57, la situation était plus grave ; elle a connu des complications, nécessitant un séjour plus long, « une interminable convalescence », une rééducation.
Cette période a été marquée par une impossibilité d’écrire, d’invoquer des mots, de réciter même des vers connus de longue date. Elle a posé la question de la place de la poésie dans une période sombre, si brutalement différente, étrangère à la vie ordinaire.
Le monde dans lequel Pierre Dhainaut s’est vu immergé n’est plus le même. Les lieux sont bornés de murs obsédants (12), la pièce est immense, étroite / fenêtres condamnées (24), des couloirs se succèdent (13), entre les lits des paravents (24), portes closes, corridors / déserts (36). Le temps échappe et ne s’écoule plus de la même manière ; la pendule accrochée au-dessus de la porte donne une heure qui ne dit rien : mais si c’est la nuit / le matin, tu ne sais pas (29). Plus que tout, c’est la nuit qui devient inhospitalière, car le sommeil ne viendra pas (12). L’insomnie est perpétuelle (36). Le patient n’est plus l’homme d’avant, alité, une blouse pour seul vêtement, l’alliance même a été retirée (13). Il porte un bracelet, il est maintenu par des sangles et relié aux appareils médicaux : nuits du goutte à goutte / de la perfusion, nuits à l’arrêt (40).
Un homme s’y perd, livré à un fonctionnement dont il ignore les codes, parmi des semblables tout aussi anonymes, dont il ne perçoit que les râles. Il est aux prises avec un vaste « Cela » protéiforme et indéfinissable, dont on ne peut dire qu’une seule chose : cela t’envahit tout / le corps (23).
Et cependant… il aura suffi d’une voix qui parvient, penchée sur le patient, il aura suffi qu’il lui réponde pour que son visage / te rend(e) un visage (27). Il ne s’agit pas d’opposer un avant à un après, ni de les confronter ; tout au plus trouver le fil qui permettra de reprendre, de relier, fil ténu mais têtu.
Pierre Dhainaut décuple sa volonté de renouer – terme qu’il a célébré – avec sa vie : l’énergie d’approfondir la scène (49) ; si tenace, la passion de dire (48) ; redisons malgré nous / quitte à nous essouffler, « la source », « la source » (47) ; Pourpre, bleu ou jaune, bleu, jaune ou pourpre / répétons-les, ces adjectifs heureux (51).
Shakespeare a pu écrire « The night is long that never finds the day. » (2) Pour Pierre Dhainaut, ces terribles nuits d’hôpital, livrées à l’insomnie la plus implacable, n’enlèveront rien à l’élan :
Une à une, les nuits / ne détiennent pas / le secret de l’attente / ou du langage… (41).
« 
Le sentiment se fonde en certitude que l’instant est toujours propice / d’esquisser un geste (53).
Quant à la place de la poésie, Pierre Dhainaut l’aborde dans un texte placé en fin de recueil, texte qui ne se veut pas conclusion mais ouverture encore. C’est cette démarche qui permet au livre d’accueillir les aquarelles de Caroline Françoise-Rubino, qui a su descendre au bord des ténèbres évoquées.
La question le taraude cependant de concevoir un poème auquel il aurait assigné un but précis formulé avant la rédaction, d’où une réelle hésitation à les nommer « poèmes » (58). Pierre Dhainaut questionne les conditions de vie d’un auteur, quand elles sont bouleversées, les conditions d’existence des poèmes, quand ceux-ci ne répondent plus seulement ou uniquement à l’écoute, aux souffles, quand se glisse l’idée d’une attente, d’une contrainte. 
La poésie n’est pas réservée aux jours heureux. Ce qui peut ébranler un homme, la souffrance, la maladie, le mutisme, tout « cela » pourrait-il la mettre à l’épreuve ?

Philippe Fumery

1. L’autre nom du vent, L’herbe qui tremble, 2014 ; État présent du peut-être, Le ballet royal, 2018.
2. Macbeth, Acte IV, scène 3.
 
Pierre Dhainaut, Après, L’herbe qui tremble, 2019, 72 p., 13€.


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Florence Trocmé 18683 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Magazines