Rencontre avec Marc BRETILLOT, par DANSOLAL
PHOTO ERIC GARAUD
Il est venu au Festival des cultures et des saveurs d'Europe de Strasbourg en voisin. De Reims. Et ceux qui ne le connaissaient pas encore se sont régalés. Avec leurs yeux et leurs oreilles. Artiste, il est. Au sens plein du terme. Y compris dans ses provocations et dans ses façons de ne pas se prendre au sérieux... Marc Brétillot ? Un designer culinaire. Le père même du design culinaire structuré , du Design Q., qu'il a crée à l'Ecole supérieure d'art et de design de REIMS (ESAD)
Design et cuisine ? Pourquoi pas ? A condition que le beau soit mis au service du bon. Donc que le plaisir des yeux n'altère pas (mais renforce) celui ou plutôt ceux du palais. A condition aussi que la déco ne soit pas qu'une recherche esthétique. « Il est des pièces montées qui ne sont pas de la cuisine, mais de la sculpture », lance Hervé This. Et il est des ornements d'assiettes qui relèvent des arts déco (ou des modes) et non de l'art culinaire. Marc Bretillot le sait mieux que quiconque...Il en rit, ou se force à en rire. Il lui arrive d'en jouer, même. Ou d'en jouir.
Ses créations à l'ESAD sont dans la plupart des cas comestibles, mais pas toujours. Mais qu'est-ce qui est comestible et ne l'est pas ? Les grenouilles sont adorées en France et détestées en Angleterre, par exemple. On mange en Afrique des insectes qui ne provoquent que de l'écœurement en Europe. J'ai vu des Allemands tombés dans les pommes en me voyant boire du sang de serpent sur un marché chinois... « On ne dit pas c'est bon ou ce n'est pas bon », avertit Hervé This, qui, lui, se préoccupe aussi du design de la cuisine culinaire de son ami Gagnaire-le-moléculaire. « On dit j'aime ou je n'aime pas ». Attirance/répulsion les cuisines sont toujours écartelées. Une affaire de goûts...et de couleurs. Le plaisir (même partagé) est toujours solitaire : « mes papilles n'appartiennent qu'à moi »
Ce qui intéresse notamment Marc Bretillot, « c'est d'arriver à rendre le consommateur acteur de sa consommation en lui apportant des informations supplémentaires. Le fait d'être actif par rapport à sa consommation est bénéfique. » Pour cela, il ne soigne pas que la décoration. « Non seulement la mise en forme joue un rôle, mais aussi la mise en scène, la gestuelle, l'ordonnancement du service... » Théâtralisation et décoration... Avec unité de temps et de lieu. Comme dans les pièces classiques. « Je veux impliquer davantage le mangeur dans son époque et créer une adéquation entre lui, ce qu'il mange, l'endroit où il le mange, la situation dans laquelle il mange ».
Tout l'inspire : l'histoire, la géographie, les mœurs, les produits, la psychologie. Et la morale. Il déteste l'hypocrisie. « Je dénonce le fait qu'on se cache de ce que l'on mange. Pour les produits carnés, si on voit un abattoir, on part en courant. Je pense que c'est une perte de sens. Il y a une dramaturgie liée à la nourriture qui fait qu'il y a une émotion supplémentaire qui peut s'en dégager », explique Marc Bretillot.
Mille feuilles...Les amateurs et les professionnels de la cuisine, de l'alimentation et de l'agro-alimentaire n'ont pas attendu les designers pour soigner la présentation de ce qui est offert à consommer. Vendre, c'est faire saliver. Séduire, c'est mettre en appétit. Les yeux mangent avant la bouche. Les mains aussi d'ailleurs. Même les oreilles éveillent ou endorment les papilles. Comme les narines d'ailleurs. La cuisine, c'est l'appel de tous les sens, y compris de ce sixième que Brillat-Savarin décrivait déjà : celui qui nous permet d'accéder à un plaisir absolu, donc à un instant d'éternité. A un moment où le temps suspend son vol. Orgasme buccal, peut-on dire. .
Pour Marc Bretillot, le design doit favoriser l'éveil de ce sixième sens. Que d'autres arts sollicitent aussi, parfois. « Le design culinaire, le Design Q., fait le pont avec les créations contemporaines d'avant-garde, des arts plastiques, de la danse, de la littérature... » Son dessin dépend d'abord du dessein. « Je cherche à aider les chefs à aller au bout de leurs intentions, à les préciser, à mieux les exprimer et il aide à préciser les choses et à les exprimer clairement. Je suis un regard extérieur, un poseur de questions, un aide à la création ».
Les bons cuisiniers sont toujours de bons artisans. Ils savent produire et reproduire. Mais ils ne sont artistes que par leurs créations. Donc par leur créativité.Leurs recettes sont à la cuisine ce que les partitions sont à la musique. Le design culinaire y ajoute comme un livret, une scénographie. L'aliment est un matériau de choix pour le designer : facilité de transformation, large palette de couleurs, textures à foison... et surtout multiplicité des signifiants. Le plaisir des sens doit avoir du Sens.
« J'apporte ce qui m'importe le plus : la cohérence. Le produit doit être en totale cohérence avec son histoire, sa forme, son goût. Ce que veut offrir le cuisinier à son hôte.Et ce que peut attendre le mangeur où et quand il mange ».
A voir et à manger. Même si, comme dit justement Gilles Puldowski, « l'excès de création tue la création »
DanSolal