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Carnet / Cigare et Guépard !

Publié le 12 juin 2019 par Christian Cottet-Emard

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Un Por Larrañaga Montecarlo (Panetela) pour égayer cet automnal lendemain de Pentecôte, et surtout, le réconfort d’un chef-d’œuvre.

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Je relis Le Guépard de Giuseppe Tomasi di Lampedusa que j’avais abordé trop jeune pour en saisir toutes les nuances et toute l’actualité. Même plaisir à revoir souvent le film de Luchino Visconti, fidèle à ce chef-d’œuvre d’un auteur génial et bien sûr longtemps incompris voire ostracisé par la bien-pensance de l’époque, notamment celle de la gauche italienne qui qualifiait le livre paru à titre posthume de réactionnaire. Louis Aragon a heureusement cloué le bec à ses petits camarades en reconnaissant officiellement la valeur et la puissance de cette œuvre extraordinaire pour que le monde admette la grandeur et la pertinence de l’analyse et de la lucidité de Giuseppe Tomasi di Lampedusa.

La première fois que j’ai vu le film, j’étais encore plus jeune que lors de ma lecture du livre. À cette époque, le succès du film dans les foyers populaires résultait d’un malentendu. La fresque sociale désenchantée et le message politique amer étaient éclipsés par la splendeur de la mise en scène et l’incroyable précision des détails, notamment dans l’immense et fameuse scène du bal qui faisait rêver non pas dans les chaumières mais dans leurs équivalents modernes. Quant à ce que j'en avais retenu à cette époque lointaine, c'était surtout la merveilleuse musique de Nino Rota.

Aujourd’hui, ce livre et ce film ne cessent de me nourrir, notamment lorsque j’ai la mauvaise habitude de trop me laisser atteindre par le spectacle sordide des dangereux et lamentables petits calculs de nos politiciens nationaux. À la suite des élections européennes que je qualifie à l’échelon français de légalement truquées par notre épouvantable président, relire ce livre et revoir ce film m’est un véritable baume, certes piquant mais apte à me rappeler qu’il faut tout regarder de loin quand on a la chance de pouvoir se le permettre.

Encore deux mots sur le film dont l’un des intérêts majeurs est le choix (bien sûr lié à la nécessité et aux contingences de la production) d’acteurs à contre-emploi, notamment Burt Lancaster dont la face de baroudeur pour westerns parvient au prodige de se calquer sur le visage impassible et secrètement bouleversé du Prince Fabrizio Corbera de Salina.

Même exploit de Claudia Cardinale dont le personnage,Angelica Sedara, n’a d’aristocratique que sa beauté, laquelle ne la protège nullement des faux pas dans la noblesse en fin de règne où elle accède grâce à la fortune de son père, Don Calogero Sedara, maire du village de Donnafugata, en quête de légitimation de son nouveau et récent statut social de parvenu croulant sous la richesse qui pourrait échapper à la maison Salina sans l’alliance de la nouvelle bourgeoisie à l’ancienne aristocratie. Cette alliance dans le nouveau monde où les guépards deviennent des hyènes se scelle dans le très attendu mariage opportuniste d’Angelica et de Tancrède Falconeri, le neveu du Prince Salina interprété par Alain Delon qui, jeune arriviste au regard clairvoyant et cynique sur l’évolution sociale, prononce la célèbre phrase encore si lourde d’actualité en 2019 :

Si nous voulons que tout reste tel que c’est, il faut que tout change.

Je n’oublie pas parmi les rôles secondaires la prestation de Serge Reggiani dans le rôle de Don Francisco Ciccio Tumeo, organiste et compagnon de chasse du Prince Salina, personnage représentatif des gens du peuple qui défendent l’ordre ancien pour des raisons mêlant des intérêts matériels et la nostalgie d’une illusoire harmonie sociale.

Il serait ici trop long et sans doute pesant de m’attarder sur la magnificence des descriptions, des portraits et des ambiances, aussi me contenterai-je d’une citation. Giuseppe Tomasi di Lampedusa décrit l’arrivée de la famille Salina dans la résidence d’été de Donnafugata. Les petits notables et les villageois sont là pour accueillir le cortège fastueux et couvert de la poussière de l’épuisant voyage sous la canicule. Heureux d’arriver enfin et de bonne humeur, le Prince se laisse aller à d’inhabituelles amabilités à l’égard des uns et des autres, ce qui est tout de suite interprété au village :

Le prince, qui avait trouvé le village inchangé, fut en revanche trouvé très changé, lui qui n’aurait jamais auparavant utilisé des mots si cordiaux ; et à partir de ce moment commença, invisible, le déclin de son prestige.

Note / Un autre livre de Giuseppe Tomasi di Lampedusa que j'aime beaucoup, son recueil de nouvelles Le Professeur et la sirène.

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