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(Note de lecture), Liao Yiwu, Des balles et de l'opium, par René Noël

Par Florence Trocmé

A bientôt, au Sichuan !

Des balles et de l'opium
Kerouac a-t-il d'autres regrets que de n'être pas le contemporain des travailleurs nomades, des aventuriers lorsqu'il écrit ses romans et sa poésie dans les années cinquante ? L'unanimisme et la simultanéité des cultures ne va jamais de soi, pas plus à cette époque qu'à la nôtre. Liao Yiwu devient poète vagabond dans les années quatre-vingt à la lecture des poètes de la beat generation quand l'occident a tourné la page de cette époque. Il a trente-et-un an en dix-neuf cent quatre-vingt-neuf, pratique la liberté sans restrictions, l'errance, l'ivresse, l'amour libre. Ce que le lecteur apprend au fil des livres écrits (rouleau de la vie puisque l'homme est celui qui peut prendre, ainsi de Khlebnikov en Russie après que les bolcheviks ont déclaré la guerre à ceux qui ont fait la révolution, entre ses mains mentales sa naissance, sa mort, sa vie, eaux aussi illisibles que vitales) cède devant ce paradoxe de la poésie, son souffle et son esprit insistent alors qu'à l'entrée au Laogai, goulag chinois, la forme poèmes s'estompe, jusque dans le témoignage crucial Dans l'Empire des ténèbres (2013) sur le système carcéral chinois et les livres postérieurs de Liao Yiwu.
Le grand Massacre, Profération (p. 5) signe son acte d'arrestation. Il écrit ce poème avant le massacre des manifestants place Tian'anmen de Pékin du quatre juin dix-neuf cent quatre-vingt-neuf, alors même qu'il n'y est pas et n'est concerné par ces manifestations que de loin. Après cet écrasement des manifestants assassinés par l'artillerie et les chars d'assaut chargeant la foule, Liao Yiwu écrit Requiem (Poèmes de prison, 2007) qu'il récite, performance qu'il filme avec ses amis, moment où la police, le film achevé, l'arrête lui et ses amis tandis que par dizaines de milliers dans toute la Chine les manifestants sont emprisonnés et torturés, arrestation qui fait de lui un opposant-paria. La fuite en avant des dirigeants va jusqu'à éliminer ceux d'entre eux qui proposent de gouverner avec et pour le peuple, ce qui acte une rupture où la Chine et le monde se tiennent depuis, dans le vide entre une civilisation condamnée et une autre à venir. La vie, l'eau et le vent contre l'amnésie érigée en loi sont ces viatiques que le hasard, la chance, saluent et qui l'aident à passer les frontières avec seulement sa flûte et un ordinateur pour bagages jusqu'à Berlin où il vit aujourd'hui.
L'état de la poésie aux yeux de Liao Yiwu, J'ai subi tant de fouilles que mon inspiration / S'est enfuie pour ne plus jamais revenir. / Même ma mémoire / Porte des marques gravées par les menottes... Et il se produit alors un miracle : pour la première fois, la prison disparut de mon esprit. J'avais trouvé ma liberté intérieure, change étape après étape, la pratique de la flûte, le souffle et la respiration élargissent l'art, lui rappelant les résistances des poètes errants chinois des époques classiques qu'il avait rejetés et qu'il prolonge à sa façon. L'énergie poétique passe par les témoignages des exilés de l'intérieur qui posent les ferments de la société à naître, également par l'Élégie funèbre à son ami Liu Xiaobo (p. 247) prix Nobel de la paix mort de la prison. Retournerez-vous en Chine ? (à la fin de l'U.R.S.S. avait dit Soljenitsyne à une question sur son retour en Russie) -non, pas en Chine, au Sichuan ! répond Liao Yiwu, quand l'impérialisme chinois éclatera...
René Noël

Liao Yiwu, Des balles et de l'opium, traduit du chinois par Marie Holzman, éditions du Globe, 2019, 304 p., 22€


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