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(Anthologie permanente) Franz Josef Czernin, La Clef d‘or et autres métamorphoses, par Jean-René Lassalle

Par Florence Trocmé

Franz Josef Czernin : La Clef d'or et autres métamorphoses

Czernin
En Autriche le poète Franz Josef Czernin (né en 1952) a publié sa nouvelle œuvre, liant comme à son habitude une poésie complexe à une réflexion poétologique et métaphysique. Un premier volume Der goldene Schlüssel (la clef d’or) offre des poèmes en prose résultant de transformations énigmatiques de contes populaires allemands, tandis que le deuxième tome, Das andere Schloss (double sens : l’autre serrure, ou l’autre château), analyse les textes des Frères Grimm (qui sont eux-mêmes des transformations littéraires de l’oralité) et explicite (apparemment) les métamorphoses qu’il y induit. Concentrons-nous sur le premier livre : Czernin choisit des contes peu connus (insolites, mélancoliques, émouvants, ou quasi-surréalistes) – dont les originaux sont placés en regard de ses propres poèmes – et en tresse, étire, transmute, détraque les mots et motifs pour obtenir de petits textes poétiques très denses qui s’autonomisent. Les expressions idiomatiques sont prises à la lettre, la syntaxe devient serpentin, les répétitions obsédantes, et la pensée polysémique, avec parfois un humour noir kafkaïen ou des réflexions postmodernes sur les morales ambigües et les profondeurs psychanalytiques des contes ainsi que sur la perspective de l’enfant qu’on fut peut-être, vue depuis l’autre bout de la vie adulte. A ceci s’ajoute en filigrane une évocation du drame existentiel qui peut se jouer dans une création artistique voulue radicale.
(Rappelons le seul livre de Franz Josef Czernin traduit en français, chez Grèges en 2011 : Le Labyrinthe d’abord invente le fil rouge.)
Le petit chanteur de l’étoile

Voici que tombent les étoiles, mais à peine l’une apparaît-elle dans la main tiède qu’il est déjà trop tard d’un seul fondant. Moi-même je devrais être de glace ou neige afin que ce qui sans cesse me tomba dessus puisse être bien rendu. Cependant ainsi les mains se vident au premier reflet, et vous me méprisez moi et ma pauvreté ou me laissez faire l’enfant.
Peut-être cela ne tient-il pas qu’à moi mais à vous. L’éclair de temps où quelque chose se tient entre les mains vous est aussi lointain et indistinct que les étoiles elles-mêmes, ce vieil espace de rêve nocturne.
S’il en était autrement je voudrais richement vous le faire payer. Mais tel que c’est, nous n’avons rien qu’un pur rien d’autre à partager.
Source : Franz Josef Czernin : Der goldene Schlüssel, Matthes & Seitz 2018. Traduit de l’allemand par Jean-René Lassalle
Sternsänger
Da fallen die Sterne, doch kaum liegt eins auf der warmen Hand, ist es schon um einen Schmelz zu spät. Ich soll selbst wohl Eis und Schnee sein, damit das, was mir andauernd zugefallen ist, wiedergegeben zu sein vermag. So aber sind die Hände schon mit dem ersten Abglanz leer, und ihr verachtet mich und meine Armut oder lasst mich ein blödes Kind sein.
Vielleicht liegt es aber nicht nur an mir, sondern an euch. Der Augenblick, da es auf der Hand liegt, ist euch so fern und undeutlich wie die Sterne selbst, der alte Nachtraum.
Wäre es anders, wollte ich euch reichlich heimzahlen. So haben wir nichts, rein gar nichts anderes füreinander übrig.
Source : Franz Josef Czernin : Der goldene Schlüssel, Matthes & Seitz 2018.
Bois de rose

Si tu coupes le bois longtemps finement la rose pourra éclore. En est-il ainsi ? L’enfant chercha à rassembler les petits blocs, les partagea entre soi, enfin rejeta tout pêle-mêle, ensuite on recommence encore. Le chemin est quand même tracé depuis toujours et reconduit au cœur de la forêt s’assombrissant solitaire comme une âme sans mère. Alors tu tâtonnes à l’aveuglette dans les éclats d’ardoise ou les épines afin d’obtenir plus tard tous les clous dans la main comme les ongles aux dix doigts. Oui ce sont histoires autant vieilles que bêtes, et leur partage et re-, non, contre-découpage n’en sera peut-être jamais assez tenté dans sa propre chair ou celle d’autrui. C’est pourquoi sans doute chaque enfant déjà pressent depuis toujours combien le prix à payer une fois venu sera haut. Il est pourtant d’une complexité terrifiante à mourir que de glaner le nécessaire dans la forêt, de menuiser la caisse pour y inclure tout et le reste sans que ce soit de nouveau pêle-mêle. Car du bois doit maintenant se dégager la rose, comme cela est écrit et sera par conséquent tenté. Un jour tu te retrouves comme Moïse dans sa caisse ou la tienne, poussé dans la rivière en compagnie des tables et des lois. C’est alors que chaque copeau, fracture, éclat d’ardoise et donc chaque lettre prend son importance. Et en est-il vraiment ainsi ? Est-ce bien là mon ancienne, ta nouvelle, notre dernière, volonté depuis toujours ?
Source : Franz Josef Czernin : Der goldene Schlüssel, Matthes & Seitz 2018. Traduit de l’allemand par Jean-René Lassalle
Rosenholz

Spaltest du Holz lange und klein genug, kann die Rose blühen. Ist das so? Das Kind suchte die Klötzchen zusammen, teilte sie durch sich selbst, warf dann wieder alles durcheinander, und dann gehts von Neuem los. Der Weg ist immerhin seit jeher vorgezeichnet und führt wieder tief in den Wald, dorthin wo er dunkel ist und mutterseelen allein ist. Da greifts du dann blindlings in Schiefer oder Dornen, damit du später einmal auch die Nägel in der Hand und an den zehn Fingern hast. Ja, das sind Geschichten, so dumm wie alt, und das Teilen und Wieder-, nein, Widerspalten wird vielleicht nie weit genug getrieben, ob in eigenem oder fremdem Fleisch. Daher vielleicht ahnt schon jedes Kind seit jeher, wie hoch der Preis eins gekommen sein wird. Es ist aber zum Todeerschrecken schwer, das Nötige aus dem Wald herauszubekommen, die Kiste zu zimmern und noch alles und jedes unterzubringen und nicht gleich wieder durcheinander. Denn das Holz soll jetzt die Rose freisetzen, so stehts geschrieben, und so sei es auch getrieben. Einst bist du dann, wie Moses in seiner, in deiner Kiste in den Fluss gestoßen, mitsamt allen Tafeln und Gesetzen. Und dann kommt es erst recht auf jeden Span, Schiefer, Spalt und also jeden Buchstaben an. Ist das wirklich so? Ist das mein alter, dein neuer und unser letzter Wille seit jeher?
Source : Franz Josef Czernin : Der goldene Schlüssel, Matthes & Seitz 2018.
Cristal

Il était, il est, et il sera une fois un, multiplication créant souffle en puisant l’air, lorsque s’étendant à l’infini du ciel, la boule gonfle son verre, tournant et basculée encore mais se laissant peu seule immobiliser ou observer sa beauté, pourtant un enfant aura pu en toute clarté limpide se rendre compte comment la boule, par ses yeux et en eux, se voyait regarder cristallinement brèches et fissures, étoilant scintillamment les brisures, et comme il est une fois un, le fut et l’aura été, cela s’était recréé plus avant vers l’enfle du ciel puisant air et souffle, quand pivotant et tournée encore s’était soufflée en verre la boule dans laquelle l’enfant peu restera ou laissera seul regarder comme avec limpide clarté une belle boule de verre, dans ses yeux et par eux, se laissa refléter en brèches et fissures étoilant les brisures, et ainsi ne s’était plus laissée revoir seule retournée pirouettant, puisque puisant air et souffle, et recréée en ciel enflant sa voûte, la boule de verre se gonflera tant qu’il fut une fois un, qu’il l’aura été et est.
Source : Franz Josef Czernin : Der goldene Schlüssel, Matthes & Seitz 2018. Traduit de l’allemand par Jean-René Lassalle
Kristall

Es war, ist und wird da einmal eins sein, Atem schöpfend und Luft holend, als es sich, himmelweites Wölben, gläsern die Kugel bläst, drehend und wieder gewendet, aber kaum allein sich schön sehen und bleiben lassend, und also wird es ein Kind sich glasklar deutlich gemacht haben, wie es durchsichtig die Kugel durch seine Augen und sich in ihnen Sprünge, Brüche, sternleuchtend und -splitternd Scherben schauen sah, und da es einmal eins ist, war und gewesen sein wird, hatte es sich, Luft holend und Atem, himmelwölbend weiter geschöpft, als es, wendend und wieder gedreht, sich gläsern die Kugel blies, in der es das Kind kaum bleiben und allein schauen lassen wird, wie es sich, durchsichtig und deutlich, eine schöne Kugel gläsern, in seinen Augen und durch sie sich klar in Brüchen, Sprüngen, sternsplitternd Scherben leuchten ließ, und es also nicht allein, gedreht und wendend, sich wieder sehen gemacht hatte, da es, Luft und Atem holend und geschöpft, Himmel weiter wölbend, sich die gläserne Kugel blasen wird, als es einmal eins war, gewesen sein wird und ist.
Source : Franz Josef Czernin : Der goldene Schlüssel, Matthes & Seitz 2018.
Franz Josef Czernin dans Poezibao :   
biobibliographie
extrait 1  
extrait 2  
Extrait 3 
Choix, présentation et traductions inédites de Jean-René Lassalle.


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