Rive Gauche6, rue de la Gaîté75014 ParisTel : 01 43 35 32 31Métro : Edgard Quinet / Gaîté
Jusqu’au 14 juillet 2019
Reprise le 16 octobre 2019
Une pièce de Jean-Philippe DaguerreMise en scène par Jean-Philippe DaguerreDécors de Caroline MexmeLumières d’Aurélien AmsellemCostumes de Virginie HMusique d’Hervé Haine
Avec Grégori Baquet ou Charles Lelaure ou Benjamin Brenière (Pierre Vigneau), Alexandre Bonstein ou Marc Siemiatycki (Joseph Haffmann), Julie Cavanna ou Anne Plantey ou Pauline Caupenne (Isabelle Vigneau), Franck Desmedt ou Jean-Philippe Daguerre ou Benjamin Egner (Otto Abetz), Charlotte Matzneff ou Salomé Villiers ou Herrade Von Meier (Suzanne Abetz)
Présentation : Paris, 1942. Le port de l’étoile jaune pour les Juifs est décrété.Au bord de la faillite, Joseph Haffmann, bijoutier juif, propose à son employé, Pierre Vigneau, de lui confier son magasin s’il accepte de le cacher en attendant que la situation s’améliore. Pierre prendra-t-il le risque d’héberger son « ancien » patron dans les murs de la boutique ? Et, si oui, à quelles conditions ?...
Mon avis : Pourquoi ai-je autant attendu avant d’aller voir Adieu Monsieur Haffmann ? En dépit de tout ce que j’avais lu ou entendu, je me faisais languir inconsciemment. Et, soudain le désir, irrépressible, s’est fait sentir. Et je ne le regrette pas !J’y ai pris un plaisir fou. Cette pièce contient tout ce qu’un spectateur attend : une intrigue originale et prenante, une mise en scène inventive et alerte, des personnages forts et convaincants, des dialogues percutants…
Photo : Evelyne Desaux-Dumond
Cette pièce est l’équivalent de ce qu’on appelle en littérature – particulièrement dans les thrillers – un « page turner ». On attend sans cesse la scène suivante… Dès le tout début, deux situations, vont se superposer. Ces deux arrangements, non pas entre amis mais entre un patron et son employé, vont conditionner un suspense absolument palpitant. A une condition somme toute plutôt conventionnelle au vu des événements extérieurs va se superposer une contrepartie. En gros, Monsieur Haffmann propose un contrat à Pierre Vigneau, lequel lui soumet en retour une sorte d’avenant pour le moins inattendu.Photo : Evelyne Desaux-Dumond
Toute de suite, on est happé par ces deux « marchandages » qui vont évoluer et grandir en parallèle. Quelle va être leur issue ? La tension ne cesse d’aller en crescendo. On ressent un délicieux sentiment d’angoisse. Jean-Philippe Daguerre, auteur et metteur en scène, s’est ingénié à faire monter inexorablement notre sentiment d’inquiétude. On s’attache tellement au destin des trois protagonistes de cette histoire. On passe notre temps à se demander comment tout cela va se terminer… Et puis, aux deux-tiers de la pièce, il nous assène un coup fatal ; il resserre encore plus l’étau qui nous étreint le cœur avec l’irruption à la table des Vigneau d’Otto Abetz, ambassadeur d’Allemagne et surtout dignitaire nazi zélé, un type redoutable, machiavélique et carrément sadique. Il ne faut pas en dévoiler plus. On peut juste révéler que ce repas est un grand moment d’anthologie théâtrale.Photo : Evelyne Desaux-Dumond
Adieu Monsieur Haffmannest un petit bijou. Jean-Philippe Daguerre, sans doute inspiré par la profession de son héros, l’a taillé et ciselé de façon à ce qu’il soit le plus pur possible. Aucune scorie, rien de superflu, rien de gratuit ; il ne va qu’à l’essentiel. La psychologie de ses trois principaux protagonistes est sans faille, leurs comportements sont tellement fouillés qu’ils ne souffrent d’aucune contestation. D’autant qu’il s’appuie sur un fonds historique solide (Otto Abetz a réellement existé), chose qui renforce encore la charge émotionnelle de cette dramatique. Il faut néanmoins souligner que, grâce à certaines répliques ou certaines ambiguïtés, on s’amuse très souvent. Pendant Le Repas, par exemple, on est sans cesse partagé entre le rire, l’émotion et l’anxiété.Photo : Evelyne Desaux-Dumond
Dire que les cinq acteurs sont épatants est un euphémisme tant leurs personnages sont incarnés. Monsieur Haffmann, Pierre et Isabelle Vigneau sont de belles personnes. Ce sont des gens normaux confrontés d’une part à une situation extérieure qui les dépasse (l’occupation, la chasse des Juifs) et qui appartient à l’universel et, d’autre part, à un problème qui touche leur intimité. C’est cette dualité qui apporte toute son intensité à cette pièce. Grâce à une mise en scène qui s’appuie plus sur la suggestion que la démonstration, les sentiments sont traités avec justesse et pudeur… On ne peut que les aimer ces trois-là car on peut aisément se mettre dans la peau de chacun.Quant au couple Abetz, il est très haut en couleurs. Autant Otto se montre à la fois dangereusement patelin et terriblement inquiétant, autant Suzanne cache derrière un débordement de gaîté forcée son évident mal-être. Deux superbes compositions.
Adieu Monsieur Haffmann, à juste titre très, très, très applaudie, est incontestablement une des meilleures pièces qu’il m’ait été donné de voir… Si vous n’avez pas encore eu l’occasion de la découvrir, elle se joue jusqu’au 14 juillet et elle reprendra à partir du 16 octobre.
Gilbert « Critikator » Jouin