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Psychogeographie indoor (91)

Publié le 17 juin 2019 par Novland
Psychogeographie indoor (91)
« J’ai des moments où je désespérerais de contenir l’inquiétude qui m’agite. Tout m’entraîne alors et m’enlève avec une force immodérée : de cette hauteur, je retombe avec épouvante, et je me perds dans l’abîme qu’elle a creusé. Si j’étais absolument seul, ces moments-là seraient intolérables ; mais j’écris, et il semble que le soin de vous exprimer ce que j’éprouve soit une distraction qui en adoucisse le sentiment. À qui m’ouvrirais-je ainsi ? Quel autre supporterait le fatigant bavardage d’une manie sombre, d’une sensibilité si vaine ? »(Senancour, Oberman)


1.15 févier 2019.- Grande douceur, curieuse appétence printanière, je me méfie (16°C). L’observateur neutre et attentif constatera avec moi que le mouvement dit des « gilets jaunes » est devenu un tantinet problématique lorsqu'il a pris la drôle d'idée de vouloir quitter le circulaire des ronds-points pour se complaire dans la fausse fluidité des monômes supposément rectilignes. En somme, voilà encore des types, et des typesses, qui avançaient mieux lorsqu’ils, et elles, tournaient en rond.Loin de ces vagues considérations sur l'air du temps demain je compte entamer Seeland, un mince opuscule de l'ami Walser que je lorgne sans vraie concupiscence depuis déjà quelques semaines. En attendant de sautiller avec Walser (c'est un très grand sautillant), je suis dans les chroniques plus ou moins culinaires du lourd/léger Jim Harrison, pas de la très haute littérature, mais je m'en fiche bien.16 février 2019.- Soleil et douceur (18°C). Il faisait beau alors j'ai pris la ferme et tenace décision de m'aventurer dans les extérieurs. Là assis sur ma fidèle chaise de jardin face à un précoce, mais bien réel soleil j'ai chichement entrepris la lecture de Seeland, une mince  chose de Robert Walser. Comme à son habitude Walser n'afflige jamais vraiment son lecteur et j'ai bien vite été saisi par une chaude et douce quiétude assez en accord avec les conditions météorologiques. Mon petit livre parlait d'un peintre un poil solaire, une gentillesse sautillante rutilait un peu partout, mais rassurez-vous sans mièvrerie. Bref, j'étais prêt pour le nirvana : « Si tant est que la mélancolie soit l’éclat qui nimbe tout ce qui est beau, elle doit nous réjouir, mais rares sont ceux qui ont le courage de cette joie grave, qui n’a bien sûr presque rien de commun avec les bastringues. »17 février 2019.- Ciel céruléen température madérienne, faut-il s'en inquiéter ? (18°C). Le soleil est bien là, mais il est encore trop bas sous les frondaisons. Déception ma chaise de jardin se retrouve trop vite à l'ombre. Nonobstant tout cela belle promenade avec l'ami Walser qui ne me décevra décidément jamais : « Les yeux qui pleurent ne sont-ils pas plus beaux que les yeux secs et sans larmes ? La joie où transparaît encore le reflet d’une douleur éprouvée, n’est-elle pas plus joyeuse que toute autre joie ? Le bonheur encore pénétré du malheur passé n’est-il pas plus pur et plus beau, plus riche et plus sublime que celui qui n’a jamais été harcelé et mis à l’épreuve par l’adversité ? La colère qui verse des larmes n’est-elle pas plus belle, en vérité, que l’indifférence glaciale et mesurée ? Un orage n’est-il pas bien plus beau que la froide réflexion mûrement calculée ? La défaite n’est-elle pas préférable au sourire exsangue du triomphe ? Le trouble n’est-il pas plus bénéfique que le sang-froid et l’impassibilité ? Un échec dont je soupire ne vaut-il pas mieux qu’une victoire, dont je tire une jubilation grossière et laide ? La lueur qui rehausse un objet n’est-elle pas mille fois plus belle que cet objet lui-même ? Et à tout bien prendre, le ciel furieux, radieux, fulminant, n’est-il pas infiniment plus beau que la terre, cette impertinente qui, sans le ciel qui veut bien la soutenir dans les airs, se ratatinerait jusqu’à l’insignifiance, s’enfoncerait dans le néant et s’abîmerait dans une chimérique épouvante ? L’âme qui fait du corps un corps, n’est-elle pas plus belle que ce dernier ? Le principe spirituel qui te met joyeusement en branle, n’est-il pas plus beau que toi-même ? Les quelques bonnes intentions qui m’animent et m’inspirent ne sont-elles pas beaucoup plus belles que moi ? Et n’est-ce pas Dieu qui est toujours et partout le plus haut et le plus beau ? »19 février 2019.- Beau temps un peu doux (15°C). Le mouvement dit des « gilets jaunes » vire à la maladie antisémite et ozeurslesplusombresdenotrehistoire. On scribouille des graffitis à goût Nuremberg 36, on s'attaque à des symboles inattaquables, on moleste de vieux académiciens tremblotants au coin de la rue, on profane un cimetière à la bonne franquette néo socialiste nationale qui s'ignore, tout cela est plus que pathétique, tout cela vire à l'inquiétant. Mort de Karl Lagerfeld, dernier dandy sur le secteur.21 février 2019.- Faux printemps, vraie douceur (17°C). Grosse fatigue, plus valétudinaire que velléitaire, malgré tout lu trois papiers collés du père Poulot, deux poèmes un peu olé olé du pourtant très sérieux Thomas (Henri). Pour le reste les temps étant un soupçon pogromesques je me contenterai de citer impeccable Edmond Jabès : « Le racisme le bouleversait. Sans doute parce qu’il en avait, lui-même, été l’une des victimes. Il disait que le racisme était la victoire des rats, la fin de l’homme. Il en donnait, cependant, une explication toute personnelle. Il disait que les racistes étaient ceux qui refusaient leurs différences, mais qui n’appliquaient cette théorie que dans leur relation à autrui ; ceux qu’un même passé, une même religion, une identique idée d’eux-mêmes, de leur pays et du monde mobilisaient dans leur égarement, comme si – insistait-il – l’âme ne vibrait qu’à un seul son et que l’esprit ne s’enfiévrait qu’une fois ; car le premier raciste est celui qui se refuse tel qu’il est. Être soi, c’est être seul. S’habituer à cette solitude. Croître, œuvrer au sein de ses naturelles contradictions. « Je » n’est pas l’autre. Il est « Je ». Creuser ce « Je », telle est la tâche qui nous incombe. L’antisémite n’a jamais pardonné au juif d’avoir été capable de se réaliser contre lui et d’apostropher l’univers, avec l’autorité de ceux qu’une inébranlable conviction, issue de leur résistance à toute clôture imposée, anime et exalte… »23 février 2019.- Quelques beaux cirrus, température plus fraîche (12°C). La promenade de l'ami Walser est tendre et lente, rien d'une randonnée ou d'un quelconque voyage, pas de marche forcée et de galopade échevelée, non rien de plus qu’un élégant petit tour. On lit ce texte admirable avec une sorte de contentement penaud qui ne nous lâche jamais. Des « semelles de vent », un panthéisme quasi extrême oriental qui sautille un peu partout, une extase folâtre et soudain l'émotion, la vraie. Ce petit bonhomme qui finira couché sur la neige est un grand fournisseur d'émotions : « Désirant m’allonger quelque part et découvrant par hasard, tout près de là, un petit coin discret sur la grève, je me couchai dans l’état d’épuisement qui était le mien directement sur le sol meuble, sous les branches loyales d’un arbre propice, aussi commodément que je pus. Pendant que je contemplais la terre, l’air et le ciel, une idée me saisit, affligeante, irréfutable, qui me poussa à me dire que j’étais un pauvre reclus prisonnier entre ciel et terre et que tous, nous étions misérablement enfermés ainsi, que pour aucun d’entre nous, nulle part, il n’y avait de sortie vers un autre monde, sinon celle qui mène dans le trou de ténèbres, dans la terre, dans la tombe. “ Ainsi, la vie dans sa profusion, toutes les belles couleurs lumineuses, la joie de vivre et tout le prestige humain, l’amitié, la famille et l’amante, l’air si tendre, plein de pensées joyeuses et délicieuses, les maisons paternelles et maternelles et les douces routes bien-aimées, la lune et le soleil, et les yeux et le cœur des hommes, tous, un jour, devront disparaître et mourir." »24 février 2019.- Ciel changeant, douceur (15°C). Walser, Perros, Thomas. Le plus suisse alémanique des trois n'étant pas le moins joyeux.25 février 2019.- Météorologie extravagamment vernale (17°C) Fluctuant entre Perros et Cioran je les ai trouvés subito presto très sinistres. Aujourd'hui il faisait beau et il me fallait du ton sur ton, je me suis donc rabattu sur quelques strips de Charles Monroe Schulz.26 février 2019.- Belle douceur (15°C). Cioran, Cahiers : « Le laconisme peut être signe de rigueur aussi bien que de paresse ». Pas mieux.2.28 février 2019.- Douceur indécente (18°C.) Rien, vétille, broutille, bagatelle, que somme-nous face au macrocosme ? En attendant une réponse que j'imagine aisément un brin conjecturale, je vais faire une très longue sieste réparatrice.1er mars 2019.- Vent aigrelet, température plus conforme avec la saison censée nous occuper (11°C). Morose et sans envie je fête la Journée Mondiale du compliment avec l'ami Cioran : « Comment réagir devant le flatteur désintéressé, qui vous complimente parce qu’il est dans sa nature de le faire ? Lui dire de cesser, c’est l’insulter : autant lui dire de cesser d’être ce qu’il est. Le mieux est de subir son encens. Lui sera content de lui-même, et vous par lassitude, l’imiterez. Évidemment, il ne s’agit pas du fourbe, du calculateur ni même du flatteur par pitié, par générosité, qui veut vous rendre heureux parce qu’il vous trouve trop lamentable – non il s’agit seulement du flatteur-né, du flatteur par tempérament, – d’un malade en somme. Le plus pénible est lorsqu’il vous encense devant témoins – qui croient que vous marchez, que vous exultez. Le mieux, dans ce cas, est de considérer la flatterie comme une épreuve et de la supporter avec résignation, comme on supporte un tas d’autres inconvénients plus ou moins quotidiens. »Nouvelle acquisition : À l'épreuve de la faim , Frederick Exley.2 mars 2019.- Averses (12°C). Je poursuis la rédaction de cette penaude somme diaristique par habitude et sans réel entrain, comme je suis très paresseux cinq minutes quotidiennes me suffisent, voilà c'était pour dire. Ce matin lu trois courts textes de Charles Albert Cingria (Recensement, Géographie Vraie et Pérégrinations Vitriaque). Coq à l'âne et digressions, je me laisse gripper par le ton buissonnier, certains paragraphes me clouant de contentement : « Comment est-ce qu'un sanglier peut se faire écraser par un train ? Le fait est assez rare, mais n'est pas surprenant outre mesure. Plus souvent qu'on ne croit, des chats se font écraser par le train, des lièvres se font écraser par le train, et, sous les tropiques, des lions et des tigres se font écraser par le train. Ils sont couchés sur la voie, ils ne savent pas ce qui arrive, ils ne comprennent pas, et, quand c'est sur eux, il est déjà trop tard. C'est comme nous qui pouvons être anéantis à l'instant même. Non seulement mourir – individuellement mourir –, mais que toute la terre soit abolie… »Déjeuné, salade de lentilles, poulet rôti et purée, un Saint Marcellin pour dessert, le tout arrosé d'une Chimay Blanche (il faudrait écrire une thèse sur les Chimay de toutes couleurs, je n'en ai pas le courage)… Sieste… plus tard retour sur les rives boueuses du Léman, avec Cingria.3 mars 2019.- Temps nuageux et doux, deux averses (16°C) Always with Charles Albert Cingria. We must not fear invisibility and loneliness, disappearance. We must rise to difficult points. Scrut life with more height and wait out of the world.5 mars 2019.- Belles soleillées (17°C). Picoré tous azimuts, chez Stendhal, chez Valéry, chez Henri Thomas… Trois constats… 1) Stendhal était un si grand sensible qu'il lui poussait au débotté des pensées ayant tout du charmant, mais aussi beaucoup de la promptitude éphémère. Ses élans tonitruaient comme des éclairs et il lui fallait donc les consigner très rapidement, en somme retranscrire en plein vol ce qui lui passait par l'émotion. On concédera aisément que l’exercice soit périlleux. Allez saisir des éclairs ! Allez les réécrire sur le papier ! 2) Le rêve chez Valéry, une drôle d'histoire : « Le suicide est comparable au geste désespéré du rêveur pour rompre son cauchemar. Celui qui par effort se tire d'un mauvais sommeil, tue ; tue son rêve, se tue rêveur ». 3) Henri Thomas, ce grand poète à col roulé, n'est pas à coup certain sautillant, pour tout dire le morose et l'embrumé s'accordent parfaitement à son teint blafard, cependant on l'aime toujours beaucoup : « Aux vitres monte le soir, / Monte la nuit, monte TOUT ,/ Le ciel n'est pas un trou noir,/ Le volcan d'étoiles bout. »7 mars 2019.- Cloudy sky (14°C). My shell of weariness is my new house. Nothing else8 mars 2019.-Nuages(13°C) Spleenétique et dépité je chemine petitement dans Le gardeur de troupeaux de Pessoa (ou d’Alberto Caeiro). Il y est question du vent, de tristesse apaisée…Sou guardador de rebanhosO rebanho é os meus pensamentos E os meus pensamentos são todos sensações. Penso com os olhos e com os ouvidos E com as mãos e os pés E com o nariz e a boca.9 mars 2019.- Temps pluvieux (13°C). Entamé Sinatra a un rhume de Gay Talese. C'est du « nouveau journalisme avant l'heure légale », de la « non-fiction narrative » qui ne connaît pas encore son nom. Sinatra n'est pas trop à son avantage, un simple rhume, tout part de guingois et son monde s'écroule un peu. « Sinatra enrhumé, c'est Picasso sans peinture ou Ferrari sans carburant », ses moumoutes ressortent, trente transportée dans une petite valise, son côté louche, Padrone un brin mafieux aussi. Sa cour lui tourne toujours autour, mais il est bien maussade.10 mars 2019.- Temps doux et pluvieux (16°C). Le Sinatra enrhumé du très bon petit livre de Gay Talese n'est pas très sympathique, il n'aime pas les hippies, regarde ses contemporains d'un peu haut et veut surtout tout contrôler autour de lui… Bref, c'est une sorte de mâle alpha à la voix d'or, on en a connu d'autres et surtout des pires.11 mars 2019.- Du vent ! (8°C). Égaré au fin fond d'un abyssal gouffre spleenétique, je ne m'étendrais pas plus que ça. D'une part parce que mes bras et jambes sont trop longs et longues, d'autre part parce que je ne voudrais pas vous ennuyer plus ça avec mes turpitudes intimes. (Rock bottom comme disait l'autre…)Tout de même lu trois pages de Valery (Paul) et deux poèmes de Thomas (Henri et pas Dylan). Rien pour me faire sortir de mon puits sans fond.12 mars 2019.- Changing sky (15°C). Grosse fatigue, comme tout est toujours dans tout : « La fatigue (par exemple) s'accompagne d'une diminution de sensibilité à l'égard de la chose qui fut d'abord un délice ou un désir : il faut changer d'objet. »Nothing else.14 mars 2019.- Météo de saison, ciel changeant et giboulées (8°C). Sullen and without envy I collapse in waters at least brackish. Luckily Cioran, who was a lot worse than me, still shoots me a few half-smiles : « Il m'aura fallu toute une vie pour m’habituer à l'idée d'être roumain ». Otherwise, two pages of Stendhal (rosy and quivering), a poem by Henri Thomas (blemish and sinister). The rain was hitting my tiles, the cars were rolling in the puddles of water, Spring is not here yet.15 mars 2019.- Pluie frugale et leste, appétence frisquette (9°C) Short return in Perros’s little papers : « Moins je mens, plus je rougis ». I leave the French language without displeasure. Tomorrow I plan to write a few words in Swahili.16 mars 2019.- Journée ensoleillée (19°C). La météo étant au « beau fixe » j'ai gaillardement risqué mes pénates dans les extérieures où assis sur mon inestimable chaise de jardin face à un soleil diablement douillet j'ai poursuivi la lecture de Sinatra a un rhume, la petite chose non fictioneuse de Gay Talese que j’avais entamée le Week-end dernier. Après le guère rigolard, Sinatra Talese dresse le portrait de Floyd Patterson, champion du monde poids lourd déchu qui se cache derrière une barbe et une moustache postiches, pilote ses propres aéroplanes et reste perpétuellement élégant malgré quelques déboires passagers… Une poignée de pages plus loin nous voilà en compagnie d'un grand type aux cheveux blancs qui fume cigarette sur cigarette. Ce type c'est Joe Di Maggio une «icône américaine » comme on en rencontre plus guère. Le portrait de Talese est formidable, tout est dit en moins de trente pages. Les origines de Di MAggio, sa famille de pêcheurs siciliens échoués à quarante kilomètres du Golden Gate, ses débuts dans le base-ball, cette extraordinaire série de « coups sûrs » qui le transformera en Star ultime, sa rencontre avec une autre Star ultime, Marilyn Monroe, leur mariage, leur divorce… les petites mains peloteuses de Robert Kennedy, l'âge qui avance, les coups sûrs qui se transforment en fausses balles…17 mars 2019.- Baisse sensible de la température extérieure (10°C). Saint Patrick, comme tout est dans tout, ces mots de Peter O'Toole pêchés chez Gay Talese : « C'est en Irlande que l'on voit les plus beaux culs du monde. Les Irlandaises portent encore des seaux d'eau sur la tête et leur mari sur le dos depuis le pub. Ce genre d'exercice vous forge le meilleur maintien du monde ».N’étant pas plus inspiré que ça je n'en dirai pas plus.18 mars 2019.- Nuages (9°C) Vaguement malade. Je picore dans le Connaissance de l'Est de l'ambassadeur Claudel, c'est toujours une source de ravissements extrêmes orientaux et à tout bien réfléchir du Ponge en mieux  : « L’arbre seul, dans la nature, pour une raison typifique, est vertical, avec l’homme. Mais un homme se tient debout dans son propre équilibre, et les deux bras qui pendent, dociles, au long de son corps, sont extérieurs à son unité. L’arbre s’exhausse par un effort, et cependant qu’il s’attache à la terre par la prise collective de ses racines, les membres multiples et divergents, atténués jusqu’au tissu fragile et sensible des feuilles, par où il va chercher dans l’air même et la lumière son point d’appui, constituent non seulement son geste, mais son acte essentiel et la condition de sa stature… » (Merveilleux typifique, avouons-le !).19 mars 2019.- Ciel changeant, tellement changeant qu'il aurait pu être flandrien ; un ciel de peintre, en somme (12°C). Pagodes, Claudel… Sur le chemin, un lépreux qui porte la tête de sa mère sous ses vêtements, deux vieilles ficelées dans un paquet de loques, un hospice pour animaux, des cercueils et des tumulus fleuris, un puits rempli de cadavres de petites filles : « On l'a bouché, une fois comble ; il en faudra creuser un autre. »21 mars 2019.- Beau temps dans le genre à quoi bon (14°C) Sombre et affamé je tangue vers la dissolution avec une petite crispation ironique au fond du gosier.Sur mon vague chemin je tombe sur l'urbanisme « chinois » de l'ami Claudel, un urbanisme qui coolie de source : « Si l’on cherche l’explication, la raison qui si complètement distingue de tous souvenirs la ville où nous cheminons, on est bientôt frappé de ce fait : il n’y a pas de chevaux dans les rues. La cité est purement humaine. Les Chinois observent ceci d’analogue à un principe de ne pas employer un auxiliaire animal et mécanique à la tâche qui peut faire vivre un homme. Cela explique l’étroitesse des rues, les escaliers, les ponts courbes, les maisons sans murs, les cheminements sinueux des venelles et des couloirs. La ville forme un tout cohérent, un gâteau industrieux communiquant avec lui-même dans toutes ses parties, foré comme une fourmilière. Quand la nuit vient, chacun se barricade. Le jour, il n’y a pas de portes, je veux dire pas de portes qu’on ferme. La porte n’a point ici de fonction officielle : ce n’est qu’une ouverture façonnée ; pas de mur qui, par quelque fissure, ne puisse livrer passage à un être leste et mince. Les larges rues nécessaires aux mouvements généraux et sommaires d’une vie simplifiée et automatique ne sauraient se retrouver ici. Ce ne sont que des couloirs collecteurs, des passages ménagés ».23 mars 2019.- Temps splendide (21°C). Le beau temps là j'ai rejoint prestement les extérieurs où juché sur ma fidèle chaise jardin j'ai poursuivi le Sinatra à un rhume de Gay Talese. Ma lecture n'aura pas été dérangée par grand-chose si ce n'est la présence d'un type posé sur le toit d'un immeuble environnant. Le type était très agile il a démonté ce qui m'a semblé être une antenne parabolique puis la laissé glisser au bout de son fil tel un gros poisson mort. Au loin un chien aboyait, quant à moi à ce moment précis j'attaquais le milieu de la page 178, un paragraphe dans lequel Talese évoque drôlement les rédacteurs de la Paris Rewiew et leur « quartier général » une péniche amarrée au bord de la Seine, une péniche sans eau courante où le matin tout le monde se rase gratuit au Perrier. Sinon et pour le reste outre la Paris Review et sa cohorte de créateurs un poil sybarites (Harold L. Humes, Peter Matthiessen, Georges Plimpton), Talese dresse le joli portrait d'un Joe Louie sorti des Rings et presque en fin de route puis il croise le responsable de la « morgue » du Times, Alden Whitman un écrivain que tout le monde ignore, un nécrologue en chef tapi dans l'ombre.3.24 mars 2019.- Gout printanier (20°C). Le refleurissement pointe le bout de son nez,la tiédeur enfle chichement,les oiseaux gazouillent piane-piane,tout semble bercé par une tendre anabiose vernaleet voilà que soudain…par la fenêtre entrebâillée de l'un de mes voisins,horreur et damnationmonte et redescend le son d'un djembé frappé,consciencieusementMaudit printemps !26 mars 2019.- Ciel très dégagé, bourrasques tempétueuses (12°C). Hier mort de Scott Walker, l'un des derniers barytons conséquents sur le marché. Ce matin réveil à 2h00, labeur jusqu'à dix heures (sans vouloir giléjauniser plus que ça je ne remercie pas le post libéralisme avancé et ses multiples zélateurs). Fausse sieste de 10h30 à 12h00. Déjeuner frôlant le brunch forcé. Resieste jusqu'à 15h30 puis retour dans la correspondance de Tchekhov. Il semble vivre dans des temps moins barbares que les nôtres, on lui enlève un gros bouquet d'hémorroïdes, l'un de ses bassets (Bromure ou Quinine?) donne naissance à une autre bestiole courte sur patte et bien rigolote (une seule dans la portée?), le printemps est encore loin, nous sommes le deux novembre, mais quelque chose de vernal semble pointer le bout de son nez.28 mars 2019.- Ciel bleu pâle (14°C). Après une semaine de « grève des éboueurs », la rue où je vis chichement - pour ne pas dire maladroitement – commence à prendre des teintes convenablement moyenâgeuses. En rentrant de l'école, les enfants du voisinage - ces modiques teignes pleines de vivacité - étripent les sacs de poubelles en leur donnant de petits coups de pieds secs et sournois. La nuit tombée, de gros rats patibulaires cabriolent autour des éventrements en émettant de courts couinements satisfaits. J’imagine sans peine que bientôt un néo Hamelin vaguement hipster pointera le bout de sa flûte et qu'il emmènera Rattus norvegicus et mouflets se noyer dans le premier fleuve venu… Disons le tout net, cela ne sera pas plus mal . Otherwise short return in Stendhal diary. Le 18 février 1813 il lit l'éloge de Molière par Chamfort au cabinet littéraire de la rue de Grammont, le 25 février il se trouve sans passion et s'ennuie donc terriblement (sans passion Stendhal est une sorte de palmier sans soleil), le 12 mars il constate être dans un état de froideur extrême et ennuyeuse depuis plus de quarante jours. Bref, l'ami Beyle n'est pas au mieux, il n'est pas le seul.29 mars 2019.- Beau temps (19°C). Tenté de lire quelques lettres de Tchekhov en extérieur. L'exercice s'est révélé quasi impossible, allez lire entre les remugles d'ordures ménagères à gauche (cf hier) et la balododifusion d'un rap mononeuronal à droite ! Confus et désorienté j'ai regagné mon petit intérieur, mais le cœur et mes envies de Tchekhov n'y étaient plus.(Cet après-midi je faisais un petit roupillon ataraxique bien mérité face à un soleil fichûment supportable quand subito presto une vaporeuse mélopée autotunée s'est permis de titiller mes augustes oreilles avec toute la grâce malingre de l'otite ichoreuse. Figurez vous que l'un de mes indéfinis voisins avait pris l'idée d'écouter la dernière production du trop fameux duo PNL, en baladodiffusion, en boucle et toutes fenêtres ouvertes ! Je n'en dirai pas plus, mais sachez simplement que cette chose vue et écoutée 27 millions de fois sur le site YouTube en moins de 7 jours ressemble à une aubade gitane de Manitas de Platas que l'on aurait secouée dans un flacon d'éther périmé. Les lyrics où il est question de se « battre les couilles d'i'Himlaya » (?) et d «'enculer sur le continent d'Hadès » (?) ne sont pas en reste et exhalent une poésie mâle et flasque que les types en trottinette électrique ne prendront certainement pas au premier degré. Comme je suis d'assez mauvaise humeur ces temps-ci, et comme je veux prouver que moi aussi j'existe, j'ai vite envoyé les contres mesures qui ont pris la forme de l'album Metal Machine Music, ce magnum opus ultra strident jadis démoulé pas l'épatant drogué new-yorkais Lou Reed. Je l'ai écouté toutes fenêtres ouvertes en émettant de grands cris psychotiques accompagnateurs, mais avec de fort judicieuses boules Quies adroitement enfournées dans les oreilles). To be continued.



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