Dans leur ouvrage « Stratégie Modèle Mental », Philippe Silberzahn et Béatrice Rousset cherchent à nous faire prendre conscience des modèles mentaux que nous utilisons dans les entreprises et organisations. Ils définissent ainsi un modèle mental : « C’est une représentation de la réalité basée sur un ensemble de croyances et d’hypothèses. Cela prend des formes très concrètes. Par exemple, le budget est un modèle mental ; c’est une manière de se représenter les flux financiers à venir de l’entreprise. » Les modèles mentaux sont indispensables, mais si nous ne prenons pas soin de les réinterroger régulièrement et de les mettre à jour, ils nous empêchent de mener les transformations nécessaires. Or bon nombre de nos modèles mentaux de la vie économique sont hérités du taylorisme et nécessitent d’être revus en profondeur.
Un des modèles mentaux qu’ils nous recommandent d’adopter s’intitule « Tirer parti des surprises ». Or les organisations n’aiment pas trop les surprises ! Au contraire, elles s’efforcent de prévoir, planifier et anticiper pour limiter autant que possible l’effet de surprise. Les surprises sont pourtant fructueuses si l’on s’efforce de les repérer et d’en tirer parti.
Les auteurs s’appuient ainsi sur l’exemple de Stacy et de son bar à sandwiches situé à Boston : « L’affaire marche bien, mais à midi, la queue s’allonge et les clients sont mécontents de l’attente. Stacy a l’idée de faire des chips avec les ingrédients inutilisés et de les leur offrir pour les faire patienter. Au bout d’un moment, les clients lui font remarquer que si les sandwiches sont plutôt moyens, les chips, elles, sont excellentes. Stacy et son mari ferment le bar et se concentrent sur les chips qui font un carton, les fameuses chips Stacy’s. Les remarques des clients étaient une surprise pour Stacy qui voyait ses chips comme un pis-aller. Ces remarques ont modifié sa façon de voir son affaire (son modèle mental) et elle l’a réorientée dans une nouvelle direction. »
Stacy a su écouter ses clients, abandonner son idée de départ et explorer une nouvelle voie. Mais bien des modèles mentaux, comme par exemple se donner une vision ou suivre ses objectifs, nous auraient plutôt encouragés à poursuivre l’idée de départ en ignorant la surprise générée par ces commentaires. Pour les auteurs, ignorer les surprises est dangereux :
« Tous les principes du management moderne visent à éviter les surprises. C’est la principale raison pour laquelle nous faisons des plans, et les programmes de transformation n’échappent pas à la règle. Dans cette optique, la surprise est synonyme d’échec car elle fait dérailler le plan d’action : les hypothèses sur lesquelles il est basé ne sont plus vérifiées et l’action n’est plus possible.
C’est pour cela que la prévision est la pierre angulaire du management. (…) Quand une surprise survient, la réaction naturelle est donc logiquement de la vivre comme un échec. Elle met en lumière l’échec de notre prévision et on cherche à expliquer pourquoi on a été surpris. On cherche souvent à trouver un responsable, celui ou celle qui n’a pas respecté le plan ou qui l’a mal conçu.
(…) À trop se protéger des surprises, on se coupe de la réalité et des opportunités qu’elle peut apporter. Ce n’est pas en restant enfermé dans un château fort que l’on conquiert de nouveaux territoires ! À ne s’intéresser qu’au monde tel qu’on le prévoit, et non tel qu’il est, on s’éloigne progressivement de la réalité ; l’organisation devient aveugle et sourde. »
Les exemples abondent d’innovations qui sont le fruit de surprises ou d’expérimentations d’abord considérées comme « ratées ». Savoir les repérer au lieu d’alimenter son répertoire d’échecs supposés suppose de faire évoluer nos modèles mentaux. Et vous, de quelle surprise ou événement imprévu pourriez-vous finalement tirer parti ?