Se persuader que "je ne suis rien et que donc je peux tout devenir", est-ce là le sommet de l'existence ?En Inde, le Vedanta enseigne que la pratique de nier tout ce qui peut l'être, pratique nommée "non, non" (na iti, na iti en sanskrit), suffit à révéler l'évidence qui ne peut être niée : une conscience immuable, un témoin statique du monde privé de tout sens, de toute valeur.
Mais le prix de cette libération est l'exclusion du corps, du monde, des autres et de tout. La liberté consisterait à tout dédaigner. A l'opposé, nous avons dans la philosophie de la Reconnaissance (Pratyabhijna) la pratique de l'inclusion (vyapti) de toutes choses en la conscience par un chemin dialectique, mythologisé en dialogue entre le dieu et la Déesse, un parcours qui transcende et intègre, partant de la dualité vers l'unité, puis allant de cette unité vers la dualité sur fond d'unité.En Europe, nous avons l'existentialisme de Sartre, qui affirme que "je ne suis rien", que toute forme d'identification est un mensonge, mais qu'il faut s'engager quand même pour combler le vide "visqueux" (et féminin) qu'est le réel dépourvu de tout sens intrinsèque. La ressemblance avec le Vedanta est frappante. Le réel est un Autre, une Maya absurde que l'on rempli de fictions mais que l'on doit détruire.A l'opposé, nous avons par exemple Hegel. Lui aussi voit dans le "non" une formidable puissance libératrice, mais la liberté chez lui s'incarne, elle dépasse en incluant, au lieu d'exclure. Elle réconcilie les opposés sans simplement les nier. La vie, le monde, l'individu, les autres, tout a sa place. La ressemblance avec la Reconnaissance, là aussi, est frappante.Je crois en une grammaire universelle des problèmes et des solutions. Partout, les mêmes impasses.
Mais cela ne signifie pas que tout a déjà été dit. L'existence d'une grammaire commune ne détermine pas une clôture des solutions possibles. Bien au contraire, cette grammaire garantie la possibilité d'un progrès.En Orient comme en Occident, l'usage du "non" peut, soit conduire à un désert stérile qui rend la vie impossible, soit à un effort de croissance, de naissance, de nature, c'est-à-dire de vie.