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Cheryl Itanda : SOS Motem

Par Gangoueus @lareus
Cheryl Itanda : SOS Motem
Je ne sais pas trop comment débuter cette chronique. Par le contexte gabonais ou le contexte de lecture. Difficile. J’aimerais commencer par expliquer pourquoi j’ai pris tant de temps pour lire un livre entamé en février. SOS MOtem est pourtant loin d’être un pavé. Par contre, l’entreprise de Cheryl Itanda requiert une certaine attention du lecteur. Et ce premier semestre 2019, je ne l’avais pas...
Les Gabonais ne cessent de m’épater depuis quelques années. Je les suis de près mes voisins. Ils investissent la littérature africaine par des biais originaux. Le polar avec un auteur comme Janis Otsiemi qui est aujourd’hui le leader incontesté de ce genre dans l’espace francophone du Sud Sahara. La littérature érotique et la romance, terrain où les écrivaines gabonaises innovent tant dans leur propos que par les moyens qu’elles exploitent pour faire connaître leurs textes. Tout ce beau monde évolue avec un écosystème tout aussi disruptif puisque d’excellentes blogueuses et instagrammeuses portent une critique sur les lettres africaines. Si je rajoute le slam et des figures comme Nanda la Gaboma, il est impossible d’ignorer qui se passent quelque chose derrière Bessora, Divassa Nyama…
Blablabla. Et Cheryl Itanda dans tout cela ? Un autre extra-terrestre venu du Gabon. SOS Motem est un tout. Une oeuvre mélangeant habilement les genres. Poésie. Théâtre. Roman. Pamphlet. Tiens, je pourrai  me poser la question du genre qui prédomine dans cette entreprise originale et j’aurais du mal à me prononcer. Beaucoup de mal. Je verrai très bien une remarquable et aisée adaptation au théâtre du récit de cette révolte populaire. Les tirades seraient bien senties. Les scènes très visuelles seraient faciles à réaliser. C’est avant tout une pièce de théâtre. Mais, je dirai tout de suite après que c’est un formidable recueil de poésie portant le cri de celles et ceux qu’on écrase en Afrique centrale depuis des décennies. Nous sommes toujours sur le forme. Un recueil de poésie entrecoupé par une narration digne d’un roman. Des personnages qu’on finit par identifier puis s'attacher. Oyembo, le poète, le griot, l’artiste. Celui qui est sensible à ce qui l’entoure et porte un discours politique au sens le plus esthétique possible. Okenge le félon. Le sardinard dirait-on plus haut au Cameroun. Edidi, la femme, la mère. Oui, il y a une narration où le lecteur perçoit quelques jours de la destinée d’un peuple oppressé. La soif de liberté, d’alternance. La possibilité de choisir, de déterminer ce qui est bon pour un groupe.
Contexte gabonais. Les dernières élections au Gabon se sont jouées sur un tour de passe-passe, une arnaque dont les gens d’Afrique centrale tellement les victimes qu’ils, qu’elles finissent par être immunisés, tellement abrutis par ces mascarades  à répétition, imposées par les armes et une communauté internationale particulièrement aveugle. Gabon. Congo. République démocratique du Congo. Tchad. Cameroun. Des autocrates comptant souvent au moins 25 ans de pouvoir pour les plus jeunes d’entre eux. Bref, le match Bongo fils et Ping fut plus serré que prévu et il s’est joué sur un bourrage d'urnes à peine déguisé dans la région d’Ali Bongo… Edidi est toutefois très lucide. Ce n’est pas juste un changement de personnes que les gens veulent. Car Ping et Bongo sont au fond de la même maison. C’est un changement de système : 
«  J’aurais souhaité qu’un homme neuf se présente à nous. Un homme qui n’a jamais été avec le régime. Un homme qui ne traîne pas de casseroles. Le changement se doit d’être radical. Si nous le voulons, nous devons changer tout un système et non un nom ou un homme […] Ils n’arrivent pas taire leurs égos pour l’intérêt supérieur de la nation […] Ils veulent  le pouvoir, la  part du gâteau qui leur revient. » p. 39

Blablabla. En.  2016, j’ai vu une diaspora gabonaise plus que jamais mobilisée. Et à Libreville, à Port Gentil, un désir d’alternance après quarante années du régime des Bongo. SOS Motem porte toutes les espérances, les attentes, les actions  des gabonais. L’intérêt de ce livre, c’est qu'il est d’abord un objet littéraire réussi. Pour avoir discuté avec Cheryl Itanda, qui est un grand lecteur, ouvert sur divers horizons, il y a la douceur de cet homme dans ces mots et une détermination étonnante pour le changement dans son pays mis en scène dans son livre. Chaque vers de poésie est l’occasion d’un cri d’exaltation, un cri de douleur, les murmures d’une résignation, une tentative de réaction.  Car le système s’abat sur les infortunés. Il en est le témoin. La bonne littérature se nourrit de personnages vertueux et de félons et discours où l'humain prime sur l'idéologie. Elle nous propose parfois un dépassement sans faire fi d’une réalité. Etant d’origine congolaise, je suis très sensible à cette invitation. Car ce qu’il décrit s’applique également au Cameroun ou aux Congo. C’est là que je vois une nuance avec le roman du Sénégalais Ameth Guissé qui écrit sur une révolte sociale. L’enjeu est celui d’une redistribution des richesses, des ressources énergétiques dans un pays qui ressemble au Sénégal. Un niveau au-dessus en termes d'exigences. Là où Congolais, Gabonais, Camerounais veulent juste choisir librement  leurs leaders…
Contexte de Gangoueus. J’ai donc été touché par l’écriture de Chéryl. Il use de métaphores travaillées. Sa poésie porte constamment l’élan des frondeurs. Elle est le lieu d’expression de la repentance de ceux qui faillissent. Elle se charge des variations de celles et ceux qui croient à ce changement. J’espère que ce texte circulera au Gabon. Cheryl Itanda dit les luttes passées. Même quand elles sont un échec. Mais surtout la préparation de futures victoires. Son propos est assez corrosif pour que certains s’en inquiètent et tentent de le contenir.
Blablabla. 
«  Vivre sans vivre la liberté dans notre pays n’est pas digne d’un peuple considérable comme le nôtre » p.29 
«  Oyembo chante mais ne peut arrêter les petits dieux qui se présentent en juge sur l’autel.  Corbeaux, charognards et hyènes ont été convoqués pour les applaudir. Ils jacassent et braillent dans la longue nuit qui se prépare. Il chante mais il ne peut les arrêter. Les petits  dieux prononcent la sentence qui installera la nuit pour toujours sur ces terres. »

Cheryl Itanda, SOS MotemEditions Dacres, Collection Mbandja, première parution en 2018Source photo - Compte Cheryl Itanda Facebook
Les autres chroniques : L'avis de Joss Doszen - Moi , j’ai aimé. Même quand je n’ai pas tout compris.Les billets de SikaEnrichi par des vers tantôt creux, tantôt puissants, SOS Motem est une lecture agréable pour la vue et nourrissante pour l’esprit.

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