Calquée sur les textes semi-autobiographiques de cet auteur britannique qui s'en est servi comme exutoire à des années de souffrance mutique, la série offre un magnifique terrain d'expression à deux véritables monstres de l'écran, deux comédiens dont un simple froncement de sourcil, une unique parole gutturale suffit à décupler l'intensité dramatique de la moindre scène. C'est qu'il fallait des pointures pour pouvoir incarner ces " personnages si haïssables et si réjouissants " que Florence Noiville dépeignait dans son article du Monde consacré à l'écrivain de Notting Hill, qui vit dans une austérité tranchant avec le clinquant aristocratique et le faste faussement vertueux des notables peuplant ses histoires ! Critiques acerbes d'une société ambivalente vivant sur les ruines putrides d'un passé glorieux, les textes unanimement salués par la critique portent avant tout en eux l'histoire d'un traumatisme terrible, le souvenir récurrent d'un acte abominable dont l'auteur a porté les stigmates psychologiques des décennies durant, se servant des pages pleines d'amertume et de nostalgie de ses manuscrits comme d'une planche de salut autant que d'un témoignage cathartique
Je pense vraiment que l'héroïne m'a sauvé la vie. C'est ce qui m'a permis de me tenir à mi-chemin entre l'existence et le suicide. De ne pas avoir eu à choisir.
Edward St Aubyn, interview à l'Evening Standard (2019)
, on le savait doué de cette capacité presque hypnotique à nous camper des scélérats grandioses au phrasé impeccable. Mais là, en une séquence, à la fenêtre de sa chambre, le cigare à la main sous le soleil levant, il parvient d'un simple regard à tétaniser la bonne dont les mains se mettent à trembler, suspendant le temps comme le bourreau suspend la lame de sa hache, avant de la relâcher d'un sourire terrifiant. Cet homme à l'élégance un brin surannée, au port droit et aux répliques acides, a le don d'épandre un parfum de terreur respectueuse autour de lui. Respecté par ses pairs, craint par ses proches, il est visiblement le cauchemar ambulant de son propre fils, le point nodal de son avenir, l'axe de gravité de son existence. Ce père qui est mort dans le premier épisode est manifestement trop présent dans ses souvenirs et l'on comprend dès lors autour de quoi vont tourner les trois derniers volets de cette série magnifiquement filmée (certains plans-séquences en Provence sont tout bonnement sublimes) qui va s'efforcer de montrer comment (ou si ?) Melrose va parvenir à se réaliser en tant qu'homme malgré les traces indélébiles héritées de sa relation équivoque avec son père.