Partager la publication "[Critique série] YEARS AND YEARS"
Titre original : Years and Years
Note:Origine : Grande-Bretagne
Créateur : Russell T Davies
Réalisateurs : Simon Cella Jones, Lisa Mulcahy
Distribution : Rory Kinnear, Emma Thompson, T’Nia Miller, Russell Tovey, Jessica Hynes, Ruth Madeley, Anne Reid, Dino Fetscher, Lydia West, Jade Alleyne, Maxim Baldry…
Genre : Drame/Science-Fiction
Nombre d’épisodes : 6
Diffusion en France : Canal + Séries
Le Pitch :
2019. Le monde change. Chez les Lyons, chacun a son avis sur les bouleversements qui secouent la société. Et si les discussions sont parfois animées, tous s’aiment et font le maximum pour conserver une véritable unité. Malgré tout, alors que les années défilent et que la marche du monde ne cesse de se faire plus effrayante, des événements vont mettre à mal la vie de tous les membres de la famille…
La Critique de la saison 1 de Years and Years :
Créateur des séries Queer as Folk et Torchwood, artisan de la résurrection de Doctor Who, Russell T Davies frappe un grand coup avec Years and Years, une série qui, et ce un peu par hasard, intervient au moment où Black Mirror commence à gentiment décliner pour sombrer dans une autoparodie un peu feignante. Pourquoi parle-t-on de Black Mirror ? Car Years and Years est aussi une dystopie. L’histoire d’une famille anglaise prise dans les tourments d’un monde en plein bouleversement. Une œuvre en forme d’ouverture sur un avenir effrayant, à la fois techniquement avancé, avec tout ce que cela sous-entend de gadgets high-tech, mais aussi paradoxalement construit à partir d’idées d’un autre temps, violemment anti-humanistes. Years and Years qui, en 6 épisodes, parvient à non seulement faire réfléchir sur notre possible futur proche mais qui s’impose aussi comme une authentique mise en garde. Un pamphlet d’une puissance évocatrice rare…
Apocalypse demain
Le concept de Years and Years est redoutable : très rapidement, alors que la série débute en 2019, histoire de bien ancrer son récit dans notre réalité, le temps avance. On retrouve alors les personnages 5 ans plus tard, dans un monde qui semble avoir totalement basculé dans le chaos. En Grande-Bretagne mais pas seulement, car Years and Years, loin de se limiter à raconter l’évolution possible de son pays, extrapole avec beaucoup de pertinence et envisage la trajectoire d’autres nations à l’influence déterminante concernant la marche du monde. L’Amérique de Trump, la montée des extrêmes, en Europe et ailleurs, les flux migratoires, le changement climatique…. Tout y passe ! Et c’est justement parce que son scénario s’appuie sur notre réalité, sans céder à aucun moment à l’exagération, qu’il nous touche avec autant de force. En cela, la fin du premier épisode est absolument terrifiante. De quoi rester bouchée bée avant d’entamer le second acte… Mais pour autant, Years and Years n’est pas une série alarmiste. Elle n’est en tout cas pas que cela.
This is Us
Car Years and Years est aussi une formidable série sur la famille, sur l’amour, la parentalité, l’amitié et l’ambition. Une sorte de version ultra réaliste, âpre mais néanmoins tendre de This is Us, où chacun tient un rôle prédominant dans la narration, sans faire de l’ombre aux autres. Entre ce père de famille dépassé par la crise qui s’accroche pour subvenir aux besoins des siens, cette femme flouée admirable de dignité, ces enfants en manque de repères destinés à incarner un espoir de moins en moins tangible, cette activiste prête à tout sacrifier pour la cause qu’elle défend ou cet homme amoureux lui aussi enclin à tous les sacrifices, la série sait faire montre d’une écriture admirable quand il s’agit d’entrecroiser les destins de tous ses intervenants au sein d’une dynamique d’ensemble aux implications disons plus universelles.
Et après ?
L’écriture de Years and Years force donc l’admiration mais la mise en image aussi. Parcourue d’ellipses très pertinentes, la série sait entretenir un rythme primordial quant à l’émergence d’une émotion de plus en plus prégnante mais aussi quand il s’agit de donner de l’ampleur à ses propos. En imaginant notre futur à grand renfort d’effets subtils, en introduisant peu à peu des éléments de pure science-fiction, mais là encore tout à fait réalistes compte tenu de notre technologie actuelle, le show ne tarde ainsi pas à marcher sur les plates-bandes de Black Mirror mais sans trop en faire et surtout sans chercher à ramener sa fraise. Car Years and Years n’a pas besoin de justement aller dans l’excès pour sonner avec justesse. L’histoire qu’elle nous conte, sa façon de le faire, sa manière d’exploiter son côté high-tech pour le mettre au service du récit sans jamais déborder, l’importance accordé à l’écriture, aux personnages et à leurs aspirations, en font une œuvre infiniment complexe mais aussi très fluide et abordable. Les acteurs de leur côté, sont formidables. On retrouve par ailleurs Rory Kinnear, l’un des meilleurs comédiens en activité, déjà dans le premier épisode de Black Mirror (mais aussi parfait en monstre de Frankenstein dans Penny Dreadful), ou encore Jessica Hynes, la géniale partenaire de Simon Pegg dans Spaced. Des comédiens au diapason, complémentaires, évoluant au fil de 6 épisodes tour à tour tétanisants, parfois drôles, souvent touchants et pertinents. Years and Years est sans aucun doute l’un des grands chocs de l’année 2019. Ne passez pas à côté !
En Bref…
Partant du principe, parfaitement justifié, que le monde est engagé sur une pente des plus glissantes, Years and Years est une brillante et effrayante extrapolation. Maîtrisée sur tous les plans, cette série chorale sait précisément mettre le doigt là où ça fait mal et, sans se poser comme une donneuse de leçons, replace l’humain au centre d’une dynamique qu’il a lui-même enclenché pour par la suite l’aggraver, soulignant paradoxalement son rôle bien sûr prédominant concernant les potentielles mais bien tangibles solutions pour s’en sortir. Première vraie série post-Brexit, Years and Years prend la forme d’un méchant coup de poing dans la tronche. Le genre qui nous laisse K.O. pour le compte. À voir absolument.
@ Gilles Rolland
Crédits photos : HBO