C’est un défi que je me suis donné : Lire des textes en lingala. J’avais déjà chroniqué le roman (lisolo) Sanza nguma de Bienvenu Sene Mongaba, écrivain et éditeur congolais (éditions Mabiki). Avec Okozonga maboko pamba de Richard Ali Mutu, j’ai eu droit à un texte plus technique plus difficile. Je vais tenter de vous restituer cette expérience de lecture.
Peut être faudrait-il avant de me lancer dans cette chronique que je rappelle d’où je viens en tant que lecteur. J’ai appris le lingala dans les rues de Ouenzé, un quartier de Brazzaville à l’âge de dix ans. C’est une langue que je parle, que je comprends assez bien. Néanmoins, je n’en ai pas une pratique régulière ces dernières années. La lecture de ce recueil de nouvelles s’apparente à une lecture d’un texte en anglais, Richard A. Mutu introduisant moins le frangala dans son travail que Bienvenu S. Mongaba. Ces deux auteurs sont de la RDC et le lingala de Kinshasa a parfois quelques nuances qui m’échappent. Enfin, j’étais hier chez mon frère et j’ai pris le parti de leur lire la dernière nouvelle qui donne le titre à ce texte. Un titre qui s’inspire d’un morceau de rumba de Ferré Gola.
Cette lecture à haute voix fut intéressante. D’abord parce que la lecture silencieuse d'un texte en lingala s’apparente pour moi à une lecture de poésie. C'est compliqué. Le texte lu en lingala silencieusement est traduit automatiquement et cela heurte la fluidité de la lecture. Je me suis rendu compte qu’en dehors d’avoir ce moment de partage et jovial en famille, en lisant à haute voix, je n’avais pas besoin de traduire, puisque la langue entendue me parlait tout de suite. De plus la dernière nouvelle (lisolo) se passe dans un contexte ecclésial évangélique. Et mes interlocuteurs n’ont pas hésité à me traduire des termes qui m’échappaient (kokonza : diriger, par exemple, d’où dérive Mokonzi : chef). Dans cette nouvelle (lisolo), Richard A. Mutu raconte la détresse de Maman Anto qui a été littéralement dépouillée par un pasteur expert en extorsion de fonds. Opération Poches vides. Avec finesse, l’écrivain décrit une scène connue. Le fait que l'écrivain termine par ce texte donne de la force à son discours qui porte la détresse, les maux de celles et ceux qui vivent au jour le jour à Kinshasa, devant faire à toute forme de prédation.
Maman Anto :
Asosoli ete, nzambe azalaka na bizaleli wana te ya kofutaka bambongo oyo yo moto, na kibolole na yo opesi na moto yo alobi ete azali mobokoli na mpate kasi azanga susi ya bampate yango.p.61Les puristes pourront critiquer cette traduction. Mais je pense avoir décrit l’idée de Richard Ali Mutu. Okozonga maboko pamba évoque cette détresse des petites gens qui vivent au jour au jour. Peut on leur reprocher une certaine naïveté ? Non. Une espérance mal exploitée. La seconde nouvelle évoque une situation similaire d’une femme qui n’arrive pas à nourrir ses enfants. Elle se retrouve dans une situation complexe quand un de ses voisins, vient lui confier ses provisions car son congélateur ne fonctionne plus. Je vous laisse deviner la suite. Mais dans cette histoire racontée en lingala, c’est la chute que j’ai aimée. Preuve que Richard Ali maitrise les règles d’une bonne nouvelle.
Elle pense que Dieu n’a pas cette habitude de payer l’argent que toi, dans ta pauvreté, tu donnes à une personne qui prétend prendre soin de ses brebis mais qui manque totalement de compassion pour ces brebis en question.
Le premier texte est plus complexe. Parce qu’il s’agit d’un monologue en lingala. Un homme d’état congolais s’exprime ou plutôt pense. Il évoque, devant son miroir, son parcours et fait un état de ses inquiétudes. Il part sur une réflexion portant autour de l’éducation nationale, les langues africaines, son intervention à l’ONU qu’il envisage en lingala. Je trouve intéressant qu’Ali Mutu pose le sujet des langues africaines, questionne les aliénations que dénoncent son personnage. Je n’ai pas trop bien compris la chute. Et surtout, on a du mal (n’hésitez pas à me démonter sur le sujet) j’ai eu du mal à donner de la crédibilité à cette introspection en lingala. Pourquoi : nous étudions en français, en anglais. Usant de matériaux, de concepts élaborés dans des langues occidentales pour traiter d'économie, de sciences de la vie et même de politique. J’ai eu l’impression de buter sur chaque phrase de cette nouvelle.
Contrairement au début de son texte qui pouvait le laisser présager, le frangala est moins présent dans Okozonga maboko pamba que dans Sanza nguma. Du coup, la langue est plus technique sans être « puriste » . Elle est plus dure pour un lecteur qui a perdu en vocabulaire (je dois m’acheter un dictionnaire Dzokanga) pour ma prochaine lecture.
Richard Ali, Okozonga maboko pambaEditions Mabiki, 61 pages, première parution en 2018