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Blaise Ndala : J'irai danser sur la tombe de Senghor

Par Gangoueus @lareus
Blaise Ndala : J'irai danser sur la tombe de Senghor
Les ami(e)s, ce titre n’a rien d’engageant. Je ne sais pas pourquoi, mais je lui trouve des ressemblances avec le fameux intitulé de Boris Vian, J’irai craché sur vos tombes, qui, en dehors de l’originalité du sujet ne m’avait pas laissé un souvenir impérissable. De manière inconsciente, je me suis tenu à distance de ce livre que Blaise Ndala m’avait gentiment fait parvenir depuis un an. Grave erreur de ma part...
Plusieurs raisons m’ont néanmoins poussé à passer à l’acte de lecture. Tout d'abord son second roman. Sans capote ni kalachnikov. N’hésitez pas à redécouvrir ma chronique de ce texte qui est un des meilleurs que j’ai lu ces dernières années. Le sujet. Le combat Ali / Foreman de Kinshasa en 1974 vu par des congolais. Une approche d’autant plus intéressante que j’ai pris pas mal de plaisir à lire Le combat du siècle de l’écrivain américain Norman Mailer. Enfin sa parution en France chez Vents d’ailleurs en début octobre…
Dès les premières pages le lecteur est embarqué. Je conseille d’ailleurs aux lectrices et aux lecteurs d’être vigilant sur ce premier chapitre qui pose les deux protagonistes du combat pour mieux s’en éloigner avant d’y revenir. 

Modero.

C’est le personnage central de ce magnifique roman. C’est un migrant. Il vient de l’arrière pays, du Kwilu. Il déborde de rêves qu’il espère accomplir à Kinshasa. Blaise Ndala nous décrit son mouvement vers l’eldorado, ici Kinshasa. Le lieu de tous les possibles. Naturellement, les  prémices de son projet sont faites d’incertitudes et nourries par les réussites de certains. L'exode de Modero a besoin d’être porté par les forces de l’au-delà, pour que le migrant ne faillisse. Il sait ce qu’il quitte : des amis, un statut de star local de la musique. Son arrivée à Kinshasa est décrite par une plume belle nous plonge dans le contexte de Kinshasa et ses kinoiseries. La ville est joviale, accueillante et rudoyante pour les pèquenauds qui débarquent les yeux plein de rêves et d’espoir. Leur naïveté est détectable dans ce monde où personne n’a de visibilité sur sa journée. Ndala nous peint la violence de Kin, ses entourloupes par lesquelles Modero, victime, finit par grandir. Son rêve est de faire partie du groupe musical Zaïko Langa Langa.
Migrer vers Kin, commentaires de pèquenauds...
Il y a quelque chose de pourri dans cette ville […]
Ce que les gens rapportent de cet endroit où ni toi ni moi n’avons jamais mis les pieds se résume à deux choses: la première renvoie à un monde sans pitié où seuls les plus doués dans la roublardise tirent leur épingle du jeu. La deuxième est une sagesse selon laquelle lorsqu’on y va à notre âge, cela ne sert à rien de rester prisonnier d’un rêve, si grisant soit-il. Il faut savoir s’adapter, « se kinoiser » , comme on dit là-bas, au gré des circonstances.
p.56
La vie de cette ville mastodonte Kinshasa qui s’apprête à vivre un événement unique, un cadeau du Guide pour son peuple, à savoir le combat de boxe entre Mohamed Ali et George Foreman en 1974 Les rencontres de Modéro nous révèlent la soif de vivre des kinois malgré l’adversité. Comme Batékol, un jeune artiste qu’il rencontre devant un hôtel. Ou son oncle Kataguruma qui l’arnaque dès son arrivée à Kin. Ou Lola, une belle « conquête » d’une soirée au night club Kin-é-bouger qui le déboussole. Les gens ne sont pas ce que l’on croit. Modéro est touchant par la simplicité de ses réactions. Il comprend assez rapidement les stratégies de survie et de défense dont chacun use. Comme les croyances manioc-religieuses par exemple. Lui, petit fils de Zangomoyo, va s'en servir. Et par un concours de circonstances ou porter par les imprécations de son grand père, il va se retrouver au coeur d’une composante et des préparatifs du fameux combat de boxe.

Kin la Belle et Rumba.

Elle est au coeur du texte. La rumba. Franco et le TP Ok jazz et surtout Zaïko Langa Langa que Modéro rêve d’intégrer et dont il sera écarté pour des raisons paranormales. Je trouve intéressant que Blaise Ndala nous montre le processus de sélection pour intégrer ce groupe mythique zaïrois. On y voit Joss dans ses oeuvres et son conseiller occulte. Mais, ce que j’aime beaucoup chez Ndala, c’est l’introduction du texte poétique porté par la rumba comme Coeurminator. Entre nous, après recherche, ce morceau est une pure fiction. Mais par lui, un profane comprendra pourquoi, un bon morceau de rumba dure 15 minutes. Ces tubes sont des moments littéraires. Blaise Ndala nous fait ressentir la musique avec ce «  zéromillimetrage » géré avec classe quand on est initié. Il met surtout en scène ces histoires racontées, chantées comme seuls les artistes des deux rives du Congo peuvent le faire. En y réfléchissant, je commence à comprendre cette autosuffisance musicale des congolais. Les morceaux rumba congolaise ne sont pas formatés pour des médias classiques. La narration de Coeurminator est un régal, une histoire de sexe et de pouvoir.
Piqûre d’Epicure n’est pas mortelle
Je le savais déjà, pour sortir le soir à Kin la Belle, il n’y a pas meilleur endroit que la place Victoire ou, si on veut élargir le rayon, le triangle qui la relie au pont Président Joseph Kasa-Vubu et la place de l’indépendance. Matonge, le coeur de Kin. C’est probablement ici que fut prononcée pour la première fois l’expression «  Ville en orgasme continu » . Ainsi certains Kinois désignent-ils cette capitale avec laquelle ils ont tissé la complicité que celle qui lie le souteneur sans visage, le client sans nom et la putain sans mémoire.
p.259

Pourquoi ce titre ?

Ce titre a tout son sens. Il est ou il serait le fruit d’une compétition saine ou malsaine entre Senghor et le Guide (Mobutu n’est jamais cité). C’est un autre thème de ce roman qui permet d’aborder le mobutisme et les luttes de leadership sur le continent. La trame du roman permet d’assister à la conception de ce projet Rumble in the jungle. Ce regard sur Mobutu et un de ses collaborateurs qui a pensé l’authenticité est intéressant. Il est bienveillant, je trouve. Comme Bofane l’est dans La belle de Casa. Pourtant, par un de ces artifices qu’autorise la littérature, il introduit par le biais d’un opposant, il assène une violente critique de la dictature, comme un sursaut. Ndala décrit les arcanes du pouvoir de Mobutu, la mainmise qu’il a sur ces collaborateurs. Il y a une forme de douceur, d’écoute et en même temps, les échos du message sanglant que le Guide adresse à l’endroit des délinquants (scène déjà décrite par Norman Mailer). Cette réflexion sur la place et l’influence des élites africaines auprès des potentats. Je pense à Bamezon Eric, le personnage de Théo Ananissoh dans Ténèbres à midi. Ce personnage dévoué et pourtant écrasé par le système. Si le discours sur l’authenticité semble être une fumisterie pour certains, sa construction s’appuie énormément sur l’expérience particulièrement douloureuse de la colonisation belge dans ce pays.

Point de vue congolais.

Blaise Ndala réussit à produire le point de vue congolais sur l’événement mondial que fut le combat entre Foreman et Ali. Il fallait pas mal d’audace pour cela lancer sur un tel projet en sachant tous les discours existant sur cet épisode de la carrière d'Ali. Je pense à Norman Mailer et à bien d’autres. Il relève le défi d’opposer ce regard et même de proposer aux lectrices et aux lecteurs de la véritable de la victoire de Mohamed Ali au-delà de toutes les fausses campagnes de communication que racontent à Mailer. Ali est étonnant. On retrouve ses fameuses séances de footing dans Kin qui paralysaient certains quartiers de cette ville. 
J’ai aimé l’écriture, les personnages, la musique, Kinshasa et les hypothèses de Blaise Ndala autour de ce combat. C'est une des phases les plus croustillantes de ce roman. 
Blaise Ndala, J'irai danser sur la tombe de SenghorEditions Vents d'ailleurs, dans les bonnes librairies en octobre 2019

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