La figure de l’érosion, par la Compagnie Pernette
Dix ans que je n’avais pas vu la Compagnie Pernette. J’en gardais une forme de lenteur, un mouvement qui se grave en nous. Je la retrouve à Chalon, sous un soleil de plomb. Nathalie a dit à ses danseurs que le soleil frappe aussi les monuments, les statues dans les lieux publics. La durée du spectacle a cependant été réduite de dix minutes. La chorégraphe veille au confort du public et partage les conditions dans lesquelles sont exposés les danseurs. Comme si elle initiait les mouvements d’un geste de la tête, de l’épaule. Les quatre danseurs semblent d’abord aimantés par le socle, posé au milieu d’un large espace dans le Stade Garibaldi. La musique est tantôt militaire, tantôt faite de bribes de discours, de chants. Notre propre corps, happé par l’oreille, rejoint la scène centrale d’un monument aux morts, figure héroïque, corps glorieux, articulations brisées, cris muets, tentatives d’éparpillement, de regroupement.
Je pense au livre de Pierre Lemaître, Au revoir là-haut. Je pense au spectacle de la Compagnie Difé Kako, Noir de boue et d’obus. Voilà comme s’est mis en scène le XXe siècle : à travers ses monuments, un dans chaque ville, en l’honneur des morts, des morts par faits de guerre. Je pense à ce que je viens de lire, de Leslie Kaplan. La danse aussi, c’est « faire un saut hors de la rangée des assassins ».