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Le chagrin des vivants

Publié le 31 juillet 2019 par Adtraviata

Le chagrin des vivants

Quatrième de couverture :

Durant les cinq premiers jours de novembre 1920, l’Angleterre attend l’arrivée du Soldat inconnu, rapatrié depuis la France. Alors que le pays est en deuil et que tant d’hommes ont disparu, cette cérémonie d’hommage est bien plus qu’un simple symbole, elle recueille la peine d’une nation entière. 
À Londres, trois femmes vont vivre ces journées à leur manière. Evelyn, dont le fiancé a été tué et qui travaille au bureau des pensions de l’armée ; Ada, qui ne cesse d’apercevoir son fils pourtant tombé au front ; et Hettie, qui accompagne tous les soirs d’anciens soldats sur la piste du Hammersmith Palais pour six pence la danse. 
Dans une ville peuplée d’hommes incapables de retrouver leur place au sein d’une société qui ne les comprend pas, rongés par les horreurs vécues, souvent mutiques, ces femmes cherchent l’équilibre entre la mémoire et la vie. Et lorsque les langues se délient, les cœurs s’apaisent.

J’aime la couverture de ce livre : elle m’a sans doute attirée quand je l’ai acheté et après lecture, je la trouve particulièrement bien choisie.

Un portrait de femme, chapeau couleur aubergine et robe de satin couleur bronze dont les reflets apportent de la lumière à l’image : couleurs qui mêlent le deuil – ou plutôt le demi-deuil, quand il s’st écoulé une période de quelques mois après le décès d’un proche – et la lumière, l’espoir, la renaissance. Le visage est coupé, on ne voit que la joue et l’ovale du menton, on devine des lèvres qui ne sourient pas, le cou et le décolleté sont gracieux. Une image qui évoque évidemment les trois femmes que met en scène Anna Hope, Ada, Evelyn et Hettie, trois femmes qui portent à des degrés divers l’insupportable deuil lié à la Grande Guerre, trois femmes qui ne peuvent vivre pleinement. Si de nombreux (jeunes) hommes sot revenus amputés physiquement et psychiquement, elles le sont, affectivement. Personne – ou si peu – ne peut leur raconter comment sont morts ou blessés leurs fils, fiancé, frère. Le chagrin les enferme d’autant plus qu’il n’y a pas de corps à honorer et que beaucoup veulent effacer les traces encore bien palpables de la guerre. Les funérailles du Soldat inconnu, enterré à Westminster Abbey le 11 novembre 1920, permettra aux Britanniques d’exorciser en quelque sorte ce chagrin inexprimable.

Anna Hope construit son récit sur cinq jours, du 7 au 11 novembre 1920, dessinant par petites touches impressionnistes l’histoire d’Ada, Evelyn et Hettie. Tandis que les autorités déploient la cérémonie du Soldat inconnu, suivie depuis les falaises de Douvres jusqu’au coeur de Londres par des milliers d’Anglais, c’est la parole, balbutiante, timide d’abord, la colère aussi, qui libère peu à peu ces trois femmes du silence étouffant. Le chagrin prend alors une autre couleur, la vie peut renaître, comme le dit le titre original du roman Wake, à l’image de cette femme enceinte dans le cortège des anonymes qui suivent le cercueil du Soldat inconnu. Mais on ne peut s’empêcher de penser que vingt ans plus tard, cette génération qui prend le relais de la vie sera à nouveau emportée dans le tourment de la guerre.

Oui, cette couverture de livre est particulièrement belle. Ce roman est beau et douloureux. Merci, Anna Hope (et merci à la traductrice Elodie Leplat).

« Pourquoi ne peut-il pas passer à autre chose ? 
Pas seulement lui. Tous autant qu’ils sont. Tous les anciens soldats qui font la manche dans la rue, une planche accrochée autour du cou. Tous vous rappellent un événement que vous voudriez oublier. Ça a suffisamment duré. Elle a grandi sous cette ombre pareille à une grande chose tapie qui lessive la vie de toute couleur et toute joie.
D’un coup de pied, elle balance sa robe dans un coin de la pièce.
La guerre est terminée, pourquoi ne peuvent-ils donc pas tous passer à autre chose, bon sang ? » (p. 101)

« Elle n’ira pas. Elle le déteste de toute façon, ce jour de l’Armistice, cette nouvelle tradition qui dégouline déjà de vénération grasse : une nouvelle opportunité pour ceux qui ont du sang sur les mains de jouer à se déguiser dans leur costume de meurtriers et de traîner derrière eux leurs chevaux et leurs affûts de canon en paradant dans les rues de Londres. Comme s’il n’y avait pas d’autres moyens de rendre hommage aux morts. »

« Et pourtant maintenant elle l’a entendue, maintenant elle sait que quelque part dans cette ville, en amont du fleuve, se trouve son frère, cet homme qui a ordonné à Rowan de fusiller son ami. Maintenant que cette vérité est en elle, partie intégrante d’elle, elle n’est pas dure comme du diamant et étincelante comme devrait l’être la vérité, mais nébuleuse, givrée de peur, de sueur, d’obscurité et de crasse. Elle ne contient pas d’élévation, pas de réponses, pas d’espoir. » (p. 323)

« …Et quoi qu’on puisse en penser ou en dire, l’Angleterre n’a pas gagné cette guerre. Et l’Allemagne ne l’aurait pas gagnée non plus.
– Qu’est-ce que tu veux dire ?
– C’est la guerre qui gagne. Et elle continue à gagner, encore et toujours. »
Il trace un cercle en l’air avec sa cigarette : c’est comme s’il dessinait l’ensemble des guerres, si innombrables soient-elles, l’ensemble des guerres passées et l’ensemble des guerres à venir.
« C’est la guerre qui gagne, répète-t-il amèrement, et celui qui ne partage pas cet avis est un imbécile. » (p. 345)

Anna HOPE, Le chagrin des vivants, traduit de l’anglais par Elodie Leplat, Gallimard, 2013

Lecture commune avec Aifelle, Béa Comète, George, Ingannmic, Jacky Grêle Osée

Challenge Voisins Voisines 2019 – Angleterre


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