Indéniablement, Galway est une ville d'eau. Les raseurs sans originalité diraient qu'il s'agit de la Venise irlandaise, parce qu'il faut toujours qu'il y ait quelque chose de Venise dans une ville pour qu'elle obtienne ses lettres de noblesse. Or, Galway n'est pas Venise. Elle vaut mieux qu'une simple comparaison. La particularité de cette aimable cité est de nous faire passer sans cesse d'une rive à l'autre à travers les multiples ponts qui jalonnent notre parcours.
Tout commence autour du port, le long de la Long Walk et ses maisons colorées qui nous mène jusqu'à la porte espagnole, souvenir d'une époque où le commerce fleurissait à Galway. Premier pont. C'est la rivière Corrib que l'on remonte. A moins que l'on ne vire à gauche et que l'on choisisse de suivre le canal, qui lui-même se divise en plusieurs bras. C'est à y perdre son gaélique ! On ne sait plus de quel côté de l'eau on se trouve, quel pont nous mène chez nous et quelle rive suivre pour aller à tel ou tel endroit. Galway s'amuse avec notre sens de l'orientation et nous teste sans cesse. La première fois que l'on se pose au bord du canal, c'est avec nos lourds sacs à dos de voyageurs. Nous n'en pouvons plus de les traîner à travers la ville en attendant de nous rendre à la gare routière pour prendre le bus qui nous mènera dans le Connemara. Alors, nous faisons comme les autochtones : nous profitons du soleil pour nous allonger dans l'herbe tendre et suivre d'un œil nonchalant le mouvement quasi imperceptible du courant, les ronds que font les araignées d'eau à la surface et le manège des goélands affamés et insolents qui forment un attroupement gai et impertinent autour de la vieille dame qui leur donne du pain. De temps en temps, nous fermons les yeux. Qu'il est agréable de ne rien faire, ici. Visiter une ville, ce n'est pas seulement marcher pendant des heures à la chasse au musée, c'est aussi goûter, l'espace d'un instant, au même bonheur que les gens d'ici, voir ce que cela produit sur notre organisme et comment cela le change ainsi que notre perception des choses et du temps.
En suivant les méandres de l'eau, nous comprenons que sa présence apporte une paix, un calme aux habitants qui se reflète parfaitement dans l'emplacement même des édifices. Ainsi, l'Université abrite un centre d'art et se laisse traverser par le canal. De même la cathédrale est posée sur un semblant de lac, un endroit où le cours de l'eau s'interrompt pour permettre, qui sait, à Dieu de mener sa barque jusqu'au monument qui lui a été construit. Et il ne s'agit pas d'une simple petite église de rien du tout. L'intérieur est lumineux, coloré, vivant, brillant, presque festif. Comme dans beaucoup d'églises irlandaises, l'entrée est très payante, mais étant donné le trésor de décoration et d'architecture qu'elles renferment, on veut bien leur pardonner.
Plus loin, la rivière Corrib s'élargit et nous voici sur le pont des saumons, ainsi surnommé car ces délicieux poissons le remontent sportivement chaque année à la saison des amours pour aller se reproduire en amont, à l'endroit où le fleuve forme un immense lac. De saumon, nous ne verrons pas la couleur, mais nous sentirons leur odeur qui nous mettra, nous le reconnaissons, l'eau à la bouche. D'ailleurs, c'est un met de choix de la cuisine irlandaise que l'on sert cuit ou fumé. Ce saumon-là, messieurs dames, ne provient pas des élevages intensifs et alimentés d'antibiotiques norvégiens, qu'on se le dise ! Si nous n'avons pas croisé l'animal roi de Galway, nous avons en revanche aperçu quelques talentueux pêcheurs à la mouche qui lançaient au-dessus des flots leur longue ligne avec une adresse et une élégance toute artistique.
Fin du parcours. Devant nous, le fleuve qui entre dans les terres. Nous ne savons que trop bien ce qu'il y a après. Il y a cette immense lac Corrib, cette mer intérieure dans laquelle la rivière prend sa source. Il y a cette étendue tantôt bleue, tantôt grise selon les caprices du ciel et des nuages qui s'y reflètent. Il y a cette route qui longe le lac et qui conduit au sauvage et mystérieux Connemara. Ce chemin, nous l'avons déjà parcouru et nous savons les merveilles vers lesquelles il mène. C'est pourquoi, face à la promenade urbaine qui se termine en une sorte de quai, c'est un départ mental et intérieur que nous entreprenons. Vers l'intérieur des terres. Sans doute ce monsieur assis non loin de là, sur les marches de sa maison, le regard perdu dans l'eau et le sourire aux lèvres, est-il en voyage là-bas lui aussi. Un instant, nous envions son rêve éveillé.