Il avait quitté Avignon en jurant qu'il se mettait immédiatement à en écrire la transposition pour le théâtre. On avait cru à une promesse de fin de soirée.
Début septembre, il téléphona à celui qui lui avait confié la vie de son grand-père, l'invitant à une lecture. L'homme, stupéfait, accepta l'entrevue. Il sera bouleversé. Une histoire vraie avait pris corps. Le texte était aussitôt publié aux Editions Les Cygnes et une coproduction enclenchée avec le Théâtre de Poche Graslin de Nantes.
Les idées de mise en scène ne manquaient pas à l'auteur. Mais il préféra renouveler la collaboration avec William Mesguich, avec qui il avait travaillé sur Fluides (repris à 20 h 15 au Coin de la Lune). Le duo ne perdit pas de temps et choisit une forme immersive, avec mapping, un éclairage en ombres et lumières, et la présence sur scène d'un musicien. Une présence constante mais souvent discrète, se laissant à peine deviner derrière un rideau de perles.
Pour seul accessoire une chaise haute, qui est celle du conteur. Et pour décor, une suite d'images splendides, aux couleurs fortes, qui font donne au voyage une intensité particulière.
Esteban Perroy entre en scène et pose la main sur le livre qui prend une dimension sacrée. Il prévient le spectateur :Je vais te raconter un destin hors du commun, une aventure extraordinaire, un combat épique entre les ténèbres et la lumière. La véritable histoire d’un enfant dont l’ardeur de vivre se fracasse contre la monstruosité des hommes attisée par le chaos d’une époque. Tu seras révolté, horrifié, tu perdras pied. Peut-être espéreras-tu un miracle et ne t’accrocheras-tu qu’à des chimères ensorcelantes. Peut-être pleureras-tu. Mais je te promets que toujours ton cœur cognera dans ta poitrine, que la flamme de l’espoir se mêlera à tes larmes et qu’à la fin du récit ton envie de vivre sera décuplée.
Nous sommes en Arménie en 1915 et nous allons partager l'enfance heureuse de
Vahram, un petit garçon de 5 ans, enthousiaste, toujours prêt à jouer avec son frère, âgé de de deux ans de plus que lui. Le père de Vahram et un notable. La cellule familiale est soudée autour du grand-père qui cultive le pavot. Chacun prend plaisir à partager les pâtisseries exquises que sa mère confectionne en suivant des recettes qui resteront secrètes. Ils vivent dans la plus parfaite quiétude dans ce pays où leurs ancêtres ont créé le premier pays chrétien de l'histoire.Surgissent deux hordes de bandes kurdes. La soeur de l'enfant aura la garde tranchée. La maison est incendiée. Le grand frère entraine et protège le petit, qui retient ses sanglots et ses supplications. La mort est-elle joueuse ? Fallait-il des témoins pour raconter cette histoire ... ils auront pour le moment la vie sauve. Les yeux émeraude du bourreau hanteront à jamais les nuits de Vahram.
Le récit se poursuit, décrivant une horreur absolue, que soulignent les plaintes du violon. Leur fuite est semé d'embuches. Le grand frère a eu le doigt arraché et il est probablement gagné par la septicémie. Le petit fait tout ce qu'il peut. Sa vie est devenue un enfer : je ne suis pas mort mais je ne me sens plus vivant.
Il sera capturé, endoctriné, mais l'épopée sera ponctuée de plusieurs autres épisodes, tenant le spectateur en haleine, qui vivra avec l'enfant le voyage qui le mènera de Silvas à Alexandrette, des steppes de l’Anatolie aux rives de la Méditerranée au terme de six terribles années.
Vahram connaitra la paix suite à un épisode étonnant que je ne vais pas révéler. Mais si la fin est d'une certaine manière heureuse rien ne lui fait oublier son peuple décimé.
Esteban Perroy pointe avec justesse combien notre monde est un théâtre mis à feu et à sang en de multiples endroits du globe alors que Vahram fait serment de ne plus tuer en engageant aussi la parole de son fils. Cette scène de fin est aussi bouleversante que ce qui a précédé. Et d'autant plus qu'elle est, comme il nous le rappelle, une histoire vraie, celle d'un homme, celle de tout un peuple et ... de toute la planète qui mérite mal son surnom d'orange bleue alors qu'elle est striée de rivières de sang.
Une histoire vraie est un récit puissant qui réveille la conscience. Il était indispensable qu'elle soit écrite. Cette épopée contemporaine a (hélas) une portée universelle. Tout est juste. Les images choisies pour illustrer les instants les plus forts sans trop les souligner. La musique interprétée en live au violon. Le texte, superbe, ciselé comme un long poème, interprété par l’auteur.On est bouleversé par tant d’horreur mais on en sort ébloui parce que les valeurs humaines finissent par triompher, nous invitant à partager autour de nous le message positif que ce spectacle véhicule admirablement, prouvant que l’on peut honorer la mémoire d’un peuple sans rien concéder à la beauté.
Une histoire vraie d'Esteban PerroyMise en scène et direction d'acteur : William Mesguich
Avec Esteban Perroy, Kordian Heretynski (violon)
Musique originale : Erwan Le Guen
Création sonore immersive : Maxime Richelme
Création visuelle originale et mapping : Thierry Vergnes
Ombres et lumière : Stéphane Baquet
Théâtre de La Luna à 11 h 201 rue Séverine, 84000 Avignon
A signaler la reprise parisienne de Colors, à la Pépinière Théâtre, 7 rue Louis le Grand – 75002 Paris / 01 42 61 44 16. Le spectacle culte sera jouée tous les dimanches à 21h à partir du 15 septembre, avec des comédiens et des musiciens parmi lesquels figure Kordian Hérétynski au violon, que l'on retrouvera avec plaisir.
Esteban Perroy en signe la mise en scène et Antho Floyd les lumières. Il annonce ce spectacle, culte depuis une douzaine d'années, comme étant une explosion de couleurs, de rire et de musique avec l'objectif de pulvériser le blues du dimanche soir, avec à chaque fois un nouveau guest comédien, humoriste, musicien ou une personnalité médiatique qui devient Miss ou Mister White avant de s'aventurer avec audace (ou inconscience) à l'art de l'improvisation, chaleureusement entouré par les Colors ...