
J'ajouterai quelques autres où la transformation est peut-être moins soudaine mais si nette que je voulais pointer cette capacité si particulière qu'ont les grands comédiens à pratiquer la rupture de ton.
A ces spectacles en tout cas dont la reprise par un autre comédien serait inenvisageable. Voilà pourquoi je ne parlerai pas dans ce billet du Syndrome du banc de touche ni d'Un coeur simple alors que si je devais leur attribuer une note je mettrai au moins 9 sur 10 à Léa Girardet comme à Isabelle Andréani.
Pareillement pour Esteban Perroy dans Une histoire vraie ou Grégori Baquet dans le K et auxquels j'ai consacré un billet dans cette série sur le festival d'Avignon. Il me semble que leur rôle pourrait être interprété par quelqu'un d'autre. Ce fut d'ailleurs le cas pour un autre excellent spectacle, Venise n'est pas en Italie.
Les performances de Eva Rami, Eric Métayer, Raphaëlle Saudinos, Marc Pistolesi, Elise Noiraud, Omar Porras ou Olivier Denizet appartiennent à une autre catégorie.



Bien qu'il soit difficile d'obtenir une place (ou un coussin) pour Tes toi ! j'ai malgré tout recommandé à beaucoup de personnes de tenter le coup. Les parisiens auront la chance, à partir de janvier 2020, de suivre ses péripéties de la petite araignée quand elle sera à l’affiche du Théâtre de la Huchette.
Eva démontre que quand on veut on peut et que quand on peut on doit. Enfant, elle disait qu’elle voulait, une fois grande, faire "Elie Kakou" comme métier. Je dirai qu’elle fait celui là mais aussi "Philippe Caubère" ... Je dis ça ... je dis rien... Et ses parents ont bien raison d'être fiers de la "petite".
Elle avait écrit un premier seul en scène Vole ! qui retraçait le passage difficile de l’adolescence vers l’âge adulte. Comment ai-je pu ignorer ce spectacle ?
Ce second opus a été également programmé à la Condition des Soies, mais cette fois dans la rotonde, dite salle Molière, devenue emblématique du festival depuis que l’immense Philippe Caubère y avait créé La danse du diable en 1981. La Condition des Soies était alors une salle du festival in....

Eva Rami est une grande actrice dont on va beaucoup entendre parler, forcément, nécessairement. Je parie ... non je me tais. Le premier honneur c’est ici en Avignon qu’elle le reçoit avec une standing ovation qui ne s’arrête que parce qu’il faut quitter la salle où un autre spectacle piaffe de s’installer.
Quel beau cadeau d’anniversaire Anthea Sogno, directrice de la trentenaire de la Condition des Soies offre cet été au public. Coup de cœur absolu.

Ils sont si nombreux à travailler dans la restauration parce qu'ils n'ont pas suffisamment de "cachets" au théâtre ou au cinéma que le thème est très plausible. Et surtout je n'imagine pas un autre comédien pour rendre aussi vivants les 32 personnages (aussi sens large puisqu'il y a des humains, des animaux, des objets) ... Qui d'autre peut aussi bien jouer le chien, une mouette ou une balle de ping pong ? Sa performance lui valut d'ailleurs le Molière du Seul en scène en 2008. Depuis il a revu la mise en scène réalisée initialement par Stephan Meldegg et nous offre 1 h 40 de bonheur.
Il est d'abord Sam, acteur au chômage employé comme standardiste dans un grand restaurant étoilé, répondant au téléphone depuis son bureau situé quelque part, assez loin des cuisines avec pour tout accessoire une table et un tabouret à roulettes. Du matériel d'entretien est stocké là, laissant supposer qu'il pourra être homme à tout faire. Et puis plusieurs piles de carton avec une inscription énigmatique pour le moment.
On entendra sur tous les tons possibles : les réservations, bonjour, ne quittez pas s'il-vous-plait ...
Bien entendu il campe chacun des interlocuteurs qui l'appellent, et chacun de ceux qu'il sollicite pour répondre à la clientèle, Stéphanie la serveuse, Gérard le collègue... Je n'ai pas tout mémorisé. On en a le tournis ... forcément, il y a un monde fou, et peu de personnes ont la tête sur les épaules. Mais rassurez-vous, on pourrait conclure à la fin que tout est bien qui finit bien.
Certains dialogues sont à prendre au troisième degré (le coq figé à l'azote et reconstitué façon puzzle, la découpe du homard vivant). On se sent parfois très concerné, comme par le temps qu'il faut pour ouvrir un dossier Internet. En temps que blogueuse culinaire j'ai beaucoup aimé les critiques sur les nouvelles modes alimentaires. Et en temps que blogueuse de théâtre la prestation d'Eric Métayer m'a coupé le souffle.
Soumis à tous les caprices de son patron comme des VIP, et au mépris d'un soit-disant ami comédien, l'homme reste stoïque malgré le coup de feu permanent, la menace d'un surmenage, le risque d'un oubli et et la promesse d'un burn-out imminent. Il échappe aux tempêtes en sifflotant l'air de Bobby McFerrin Don't worry be happy et passe d'un accent à un autre avec une virtuosité inouïe.
Il est aussi fort en bruitage qu'en gestuelle. Sa prestation relève de la magie.


Elle chante aussi merveilleusement des textes qu’elle a écrits pour la circonstance ou empruntés à Benjamin Biolay, Bernard Joyet et Serge Reggiani. Chaque chanson ponctue une scène en renforçant le propos ou en apportant un complément de réflexion sur le personnage qui s'interroge sur sa vie. L’ensemble s’articule autour de thèmes dramatiquement de plus en plus actuels et inquiétants : la précarité croissante des seniors, la difficulté à organiser ce que Claude Lelouch appelle la troisième mi-temps de la vie. Même si on a la santé, la vie devient âpre et pour certains la solution passera par la sous location transgénérationnelle en vertu du principe voulant que l’intelligence est la capacité de s’adapter au changement.



Seul ... mais avec un balai, ou une corde pour se pendre, ou encore une sonnette qui pourrait bien avoir la fonction de la lampe d'Aladin. L'histoire est complexe. Trois complices ont aimé Marc Pistolesi à écrire le texte. Son interprétation est extrêmement physique. On croirait son corps en caoutchouc. Il est constamment en action, tel un suricate en alerte. Le comédien campe à la perfection le mec à qui la chance n'aura jamais souri et qui a l'obsession de la pendaison. N'allez pas croire qu'il va se suicider. Il est prêt à endosser n'importe quel costume de personnage créé par son imagination pour se maintenir en vie : christ, athlète, ou DJ, cet homme peut tout faire, y compris le papillon ou le foetus dans son liquide amniotique.



Elle témoigne qu’en prétendant ne pas pouvoir dire toute la vérité aux enfants, les adultes provoquent des ravages, par exemple l’anorexie. Sommes-nous tous obligés de grandir au milieu des mensonges qu’on nous raconte ? La comédienne transcende les secrets de famille et les exorcise par la danse. Un spectacle touchant pour un public néanmoins averti.
La photo qui n'est pas logotypée A bride abattue est d'Arianne Catton Balabeau