La salle de bal (Anna Hope)

De la sélection naturelle à l’égalité humaine

Ce tendre et bouleversant roman commence, par "C’était une belle et douce journée. Elle marchait lentement, prudente sur le chemin semé d’ornières." Elle, c’est Ella, une jeune fille libre et emprisonnée dans un asile de fous pour le double méfait d’être indigente et non-conforme aux us sociaux.

L’auteure, Anna Hope, découvre que son arrière-arrière-grand-père a été transféré de l’hospice à l’asile de Menston à partir de 1909, où il mourra. Cet asile du Yorkshire a ouvert en 1888 sous le nom de West Riding Pauper Lunatic Asylum (asile pour aliénés indigents du West Riding), puis est devenu le High Royds Hospital en 1963 pour finir par fermer ses portes en 2003.

Anna Hope en dédiant cette histoire – romancée - à la mémoire de son ascendant irlandais, nous fait découvrir les odieuses coulisses des théories de l'eugénisme en vogue parmi les nouvelles élites des sociétés dites « modernes » au début du XXé siècle.

L’éminent statisticien Karl Pearson résume ainsi la pensée de l’époque et son oeuvre : « le jardin de l’humanité est envahi de mauvaises herbes … l’engrais ne les transformera jamais en fleurs ».Karl Pearson est un pur produit de la « méritocratie », un socialiste élitiste et libre penseur positiviste. Il va appliquer les méthodes statistiques à l'étude de la sélection naturelle de Darwin telle qu’elle a voulu être comprise à l’époque. Charles Darwin, décédé en 1882, a dû se retourner tant et tant de fois dans sa tombe … Rappelons à toutes fins utiles que le terme de Darwin est «adaptation au milieu naturel » et non sélection …

Au début du XXé siècle, il est donc considéré possible et même éminemment souhaitable d'améliorer la race humaine en sélectionnant et favorisant les plus doués de ses représentants. L'analyse statistique doit permettre de mesurer la détermination héréditaire des caractéristiques physiques et psychiques de l'homme et leur amélioration. La véritable question n'est pas celle de la preuve scientifique (par exemplepour une politique de stérilisation contrainte) mais celle de l'exclusion (qui on veut exclure). Aux Etats-Unis, l'exclusion concernait les immigrés, en Scandinavie le prolétariat rural, en Allemagne nazie les juifs et les tsiganes. Ces pays ont mis en place des lois sévères de stérilisation. Dans le cas du Royaume-Uni victorien, il s'agissait des pauvres et de la classe ouvrière. On attribue l'absence de lois de stérilisation en Angleterre au fait que l'eugénisme s'est heurté à l'organisation syndicale et politique des ouvriers.

Libre à certains de regretter que le XXIé siècle que nous traversons aujourd’hui soit si chaotique, déréglé, violent, destructeur … J’aime, pour ma part, penser que, comme toute époque, il est né de son passé. Le goût pour les minorités, qu’elles soient humaines, animales et végétales, est aujourd’hui non négociable. C’est un excès en réponse à l’intolérable du XXé siècle. Un excès d’une autre modernité. L’histoire, quand elle ne régresse pas, se répète moins qu’elle ne se transforme.

Quelques informations pratiques sur ce livre.

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