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Les femmes dans l’Ancien Testament – Les filles de Loth

Publié le 10 septembre 2019 par Ludivine Gaillard @mieuxvautart

Et voici le 2ème épisode consacré aux femmes dans l’Ancien Testament et leurs représentations dans l’art ! Nous allons explorer l’un des épisodes bibliques les plus choquants, où il sera question d’inceste en état d’ébriété avancé… Pour la petite intro et pour bien suivre la choucroute, je t’invite à cliquer : ici.

Je mets un point d’honneur dans mes articles à éviter de présenter les femmes dont je parle comme « l’épouse de… », « la fille de… » mais là ce n’était pas possible puisque les filles de Loth ne sont tout simplement pas nommées, ni dans l’Ancien, ni dans le Nouveau Testament. Mais alors qui est Loth, leur père ? C’est le neveu d’Abraham (clique ici pour son histoire). Loth et Abraham, bergers, vivaient dans le même campement jusqu’à que les pâturages pour leurs bêtes viennent à manquer. Les deux hommes et leurs familles respectives se séparent alors, et Loth part pour la ville de Sodome.

Sodome

La ville de Sodome doit sûrement te dire quelques chose. Dieu ne portait pas vraiment cette ville dans son coeur car  » Les habitants de cette ville offensaient gravement le Seigneur par leur mauvaise conduite. » Genèse (13 : 12-13). Les théologiens ont fait perdurer l’idée que si ces habitants ne plaisaient pas à Dieu, c’est qu’ils devaient forniquer comme des fifous et notamment en violant et en ayant… des relations homosexuelles (cf « sodomie »). La ville voisine, Gomorrhe, est également remplie de « pécheurs » et donc dans le viseur divin. Comme la moutarde monte au nez de Dieu, Abraham décide de rebrancher la fibre optique pour s’adresser au Seigneur. Il lui propose d’épargner les deux villes s’il réussit à y trouver dix « justes ». Mais tout le monde à le feu au slip, Dieu ne trouve même pas un pèquenot pour lui faire changer d’avis. Comme Abraham est son chouchou, il envoie deux anges prévenir son neveu Loth qu’il va bientôt pulvériser les deux villes et qu’il faut donc partir. 

Les femmes dans l’Ancien Testament – Les filles de Loth

Lothe invitant les anges chez lui, Hans I Collaert, gravure d’après Frans Menton, fin des années 1560 

Loth, très honoré de recevoir des anges chez lui, leur offre un bon repas. Mais rapidement, des habitants de Sodome se pressent autour de la maison comme au premier jour des soldes. Ils veulent voir les envoyés de Dieu ! Loth sort de chez lui : « De grâce mes frères, ne leur faites point de mal ! Écoutez ! J’ai deux filles qui n’ont pas encore connu d’homme, je vais vous les amener, faites-leur ce que bon vous semblera, mais ces hommes, ne leur faites rien, car enfin ils sont venus s’abriter sous mon toit. » (Gen. 19 : 8).

Donc Loth livre sans état d’âme ses filles à une foule d’excités. Elles sont à ce moment là réduites au statut de femmes-objet, servant de simple monnaie d’échange pour apaiser des esprits masculins échauffés. Heureusement pour elles, ces derniers restent obsédés par les anges et commencent à s’en prendre à Loth. Dieu intervient alors pour les aveugler de son projecteur divin et ainsi disperser la foule. 

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Les Sodomites aveuglés, 1728, illustration issue de « Figures de la Bible », illustré par Gerard Hoet (1648-1733) et autres, crédits de l’image :  Bizzell Bible Collection, University of Oklahoma 

Loth et sa famille, escortés par les deux anges, finissent par quitter Sodome.

Les femmes dans l’Ancien Testament – Les filles de Loth

Loth et sa famille fuyant Sodome, Rubens, 1625, huile sur toile, Musée du Louvre

Tu ne te retourneras point

Les envoyés de Dieu leur intiment de ne pas se retourner pour regarder la ville qui subit un déluge de souffre et de feu. Et la seule personne qui ne peut résister à l’envie de jeter un coup d’oeil… c’est la femme de Loth ! « Pouf ! », jusque là absente de l’histoire, elle apparaît dans le récit pour désobéir à Dieu et comme ses deux filles, elle n’est pas nommée, elle est « la femme de ». (Seules certaines traditions juives la nomment « Édith » ou « Ado ».) Elle se retourne et est immédiatement changée en statue de sel. Pourquoi a-t-elle désobéit ? Est-ce parce que malgré l’ordre divin elle ne voulait pas abandonner sa ville ? Sodome, ville de péchés, devait être quittée sans regret ? 

Les femmes dans l’Ancien Testament – Les filles de Loth

Episodes de la vie d’Abraham et de Loth: La Fuite de Sodome, Raphael et élèves, Musée du Vatican, les Loges, Cite du Vatican

Les femmes dans l’Ancien Testament – Les filles de Loth

La Famille de Loth fuyant Sodome, Véronèse (atelier de), fin du XVIe siècle, huile sur toile, Musée du Louvre

Le tableau ci-dessus, issu de l’atelier du peintre Véronèse (1528-1588), pourrait davantage évoquer une douce scène champêtre (« hihihi bye bye maman, allons pique-niquer ! », « Oups j’ai grimpé sur un caillou ! ») plutôt qu’une scène tragique où une famille vient de perdre la maman. Cette dernière est dans le fond, sur la droite du tableau, changée en statue de sel. Un ange dirige Abraham et le deuxième, au milieu des deux soeurs, les aide à avancer.

Femmes, donc séductrices

Loth et ses deux filles tracent leur route pour finalement arriver à une grotte où ils se réfugient. Et là, ça part en cacahuète : l’aînée, inquiète, s’adresse à sa cadette :  » Notre père est âgé et il n’y a plus d’hommes dans le monde, pour s’unir à nous selon l’usage de toute la Terre. Eh bien,  enivrons de vin notre père, partageons sa couche,  et par notre père nous obtiendrons une postérité. » (Gen. 19 : 31). Hop, elles sortent la vinasse et en servent à outrance à leur père qui finit par ne plus les reconnaître (oui oui), rond comme une queue de pelle. L’aînée lui grimpe dessus et hop ils s’accouplent. Le lendemain, re-belotte avec la cadette, et Loth est toujours aux fraises, mais très heureux que des inconnues  lui proposent autant de boisson et viennent s’occuper de lui au fond d’une grotte paumée. 

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Jan Joris van Vliet d’après Rembrandt, Loth et ses filles 1631

Avant le XVIIe siècle, les peintres privilégiaient une composition montrant deux temporalités. C’est-à-dire Loth et ses filles au premier plan et la scène de leur fuite, de la maman changée en sel, et la destruction de la ville, en arrière-plan. Ainsi, le rappel de la moralité (ne pas désobéir à Dieu sinon il t’explose) était présent dans la composition, la pilule de l’inceste passait donc un peu mieux et certains peintres ne se gênèrent pas pour pousser l’érotisme. 

Les femmes dans l’Ancien Testament – Les filles de Loth

Loth et ses filles, Anonyme d’Anvers ou de Leyde, vers 1520, huile sur bois, Collection Département des peintures du musée du Louvre

 Loth et ses filles, Massys Jan, 1563, huile sur bois, Kunsthistorisches Museum, Vienne

Détail

Puis à partir du XVIIe, les peintres ne représentent quasiment plus la fuite et s’aventurent à ne peindre que la scène de séduction entre les filles et le père. La situation se renverse : après avoir voulu jeter en pâture ses filles, Loth est abusé par ces dernières. Mais les peintres le représentent plutôt heureux, voire franchement content. Il est intéressant de noter que Dieu est totalement absent du récit de cette scène d’inceste. À aucun moment il a suggéré ce passage à l’acte ou y a assisté. Alors pourquoi la représenter ? Car cette scène peut être un prétexte pour les artistes de peindre deux (jolies) jeunes femmes qui s’occupent d’un homme… Un bon fantasme du « deux pour le prix d’une » ! Et qu’un homme âgée avec une (des) jeune(s) femme(s) c’est le top (alors que l’inverse… bouuuh). 

Les femmes dans l’Ancien Testament – Les filles de Loth

Loth et ses filles, Simon Vouet, 1633, huile sur toile, Musée des Beaux Arts de Strasbourg

Dans ce tableau de Simon Vouet (ci-dessus), Loth n’a pas l’air d’être spécialement aviné mais d’avoir plutôt toute sa tête, un air satisfait illuminant son visage. Ses filles sont complètement débraillées, notamment celle qu’il saisit, le torse dénudé et les jambes écartées. La scène est manifestement un prétexte pour l’artiste d’en faire une oeuvre plutôt « libertine ».

Les femmes dans l’Ancien Testament – Les filles de Loth

Loth et ses filles,  Jan Steen, 1665, Wessenberg-Galerie, Konstanz

Ci-dessus, Jan Steen a transformé cette scène issue, rappelons-le, de livres « saints » (Ancien et Nouveau Testament) en une composition qui frise le grivois, voire la caricature, tant Loth est déglingos. Mais c’était dans l’habitude de Steen de peindre des scènes de genre (du quotidien) représentant des personnes « vraies » (et donc pas idéalisées). Ici, nous avons le sentiment de regarder une scène se déroulant dans une taverne, un homme soûl se faisant servir par des serveuses-mais-pas-que. Le peintre a ainsi pu mettre l’accent sur le ridicule de la situation : que deux soeurs croient que c’est la fin du monde et donc décident de s’unir à leur père. Et ce dernier qui, même s’il a bu, ne les reconnaît pas ! Même si l’on peut deviner en haut à gauche Sodome en feu, Steen s’est ici un peu fait plaisir !

Loth, qui est censé avoir un certain âge, est souvent représenté avec un torse soit de jeune homme, soit légèrement « vieux », car il est en contact avec le divin, c’est un homme viril et actif hé ho ! (cf Abraham et sa servante Agar). C’est particulièrement observable dans les tableaux du XVIIIe siècle, période où les peintres transforment des scènes bibliques, mythologiques, en scènes « galantes », agréables à regarder et empreintes de préciosité.

Jean-François de Troy, Loth et ses filles 1727, Huile sur toile, 80 x 64 cm, Musée des Beaux-Arts, Orléans

 Loth et ses filles, Jean-François de Troy, 1727, huile sur toile, Musée des Beaux-Arts, Orléans

Les femmes dans l’Ancien Testament – Les filles de Loth

Loth et ses filles, Jean-François de Troy, 1721, huile sur toile, Musée de l’Ermitage

Ainsi, Loth rappelle davantage Zeus, dieu des dieux, qu’un papi berger vivant au fin fond des montagnes de Jordanie.

Les femmes dans l’Ancien Testament – Les filles de Loth

Loth et ses filles, suiveur de Frans Floris (1519-1570), huile sur bois, Collection privée

Ce tableau ci-dessus est particulièrement dérangeant et fait basculer la scène biblique dans une scène hautement perverse. Loth a complètement déboulonné, dévoilant de son bras musculeux les seins de sa fille avachie sur lui. L’expression du vioque est parfaitement lubrique et le malaise est renforcé par le regard de la jeune fille, dirigé vers le spectateur. On a ainsi l’impression de participer à la scène, voire d’en être complice. La fille de Loth se tient au bras droit de ce dernier, son visage n’affichant aucune expression. Elle est censée être, avec sa soeur, l’instigatrice de cet acte, et pourtant, elle semble déconnectée de la situation. D’ailleurs, sa soeur est endormie à l’arrière-plan, très érotisée par le rouge qui colore ses joues et par son sein droit qui dépasse de sa tunique (le tout sur le fond d’une étoffe rouge !). L’épisode biblique n’a plus lieu d’être et cède la place à une scène de domination masculine banalisée, peinte pour chauffer le slip de ces messieurs. 

Les femmes dans l’Ancien Testament – Les filles de Loth

Loth et ses filles, Rubens, vers 1610, huile sur toile, Staatliches Museum, Schwerin

Et donc, est-ce que ce trio va repeupler la terre ? Presque : les deux soeurs tombent enceintes, et accouchent toutes deux d’un garçon.  L’aînée, de « Moab », qui sera le père des Moabites (peuple d’une région montagneuse de la Jordanie) et la cadette, de « Ben Ammi », premier ancêtre des Ammonites (peuplant le N.O de la Jordanie). Une nouvelle fois, les femmes ont été utilisées pour incarner une faute (coucou Ève !). Faute de désobéissance à Dieu de la part de la femme de Loth en se retournant pour regarder Sodome brûler. Du côté de leurs deux filles, elles ont respecté l’injonction divine de « croissez et multipliez-vous » mais en étant instigatrices d’une grave faute morale, l’inceste. Loth était ivre, on l’excusera (même si certains théologiens ont relevé qu’il pouvait se faire avoir une fois, mais deux… faut pas pousser le bouchon). Ainsi, la plupart des artistes, dès le XVIe siècle, ont sauté sur l’occasion pour représenter des femmes plus proches de courtisanes que de filles de berger, se comportant de façon séduisante, une attitude alors perçue comme inhérente aux femmes. Le père étant régulièrement représenté comme un homme comblé et satisfait, comme pouvait finalement l’être, un contemplateur masculin de l’oeuvre… 

Le premier épisode de cette série consacrée aux représentations dans l’art des femmes dans l’Ancien Testament, est à retrouver ici : Sara

À bientôt pour un prochain épisode !

Sources :

  • Baladier Charles (dir), Lapierre Jean-Pie (dir), La petite Encyclopédie des Religions, éditions du Regard, Paris, 2000
  • Bebe Pauline, Isha, Dictionnaire des femmes et du judaïsme, Calmann-Lévy, 2001
  • Debray Régis, L’Ancien Testament à travers 100 chefs-d’oeuvres de la peinture, Presses de la Renaissance, Paris, 2003
  • Maës Gaëtane, cours sur : L’introduction à la peinture et aux arts graphiques en Hollande et en Flandres au siècle d’or, Université de Lille 3, 2015

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