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Ismael Diabaté ou une exploitation artistique du bogolan

Par Gangoueus @lareus


Représentation Ismael Diabaté

J’ai pris beaucoup de temps avant d’écrire cet article. Beaucoup. En effet, j’ai rencontré Ismael Diabaté il y a bientôt deux ans à Alger à l’occasion du Salon International du livre de cette ville. Une très belle rencontre à l’espace Panaf consacré aux écrivains, artistes et acteurs culturels venus d’Afrique subsaharienne. A l’époque, je fus invité pour m’exprimer sur la question du livre numérique et du développement de la critique littéraire sur le web 2.0.
Ismael Diabaté avait été invité en 2016 pour toute la durée de cette grande foire du livre à Alger qui s’étendait sur une dizaine de jours. En arrivant à l’espace Panaf pour la première fois, alors que j’échangeais avec les organisateurs, j’observais un homme concentré et consacré à faire l’esquisse d’une toile. Derrière lui, il y avait une très belle toile avec une couleur un peu inhabituelles faisant penser à de l’encre un peu mal séché. Narriman Sadouni en me présentant à Ismael Diabaté, m’expliqua que cet artiste malien utilisait la méthode du Bogolan. Bogolan. => Premier aparté. Ayant séjourné en Côte d’Ivoire, j’ai découvert le bogolan dans ce pays. C’était un de ces tissus ressemblant pour ses motifs au pagne wax, mais sur un coton moins affiné. Les tenues, les nappes en bogolan avaient bonne presse et elles étaient très demandées à Abidjan dans les années 90… Ce que j’ignorais, c’était la manière avec laquelle ces bogolans étaient produits artisanalement. Fin du premier aparté. <=Ismael Diabaté m’explique la pratique du Bogolan. Fait avec la terre. Cette technique de production s’appuie sur des produits naturels : terre, « le liquide révélateur », tissu en coton. La technique est ancestrale au Mali. Elle est historiquement faite par des femmes. Les motifs déposés sur ces Bogolans sont des exutoires pour ces femmes qui racontent leurs histoires, leurs quotidiens. Le code a un sens. Et ce n’est pas un hasard si on retrouve sur les pagnes Wax des motifs chargés de défis, de battles, d’histoire d’amour, de rivalité, de naissances… La pratique aurait été reprise à partir des usages et des représentations par les femmes maliennes sur le Bogolan.Ismael Diabaté ou une exploitation artistique du bogolan

Comment Ismaël Diabaté exploite le Bogolan ?

L’artiste malien m’explique alors comment il a basculé sur cette technique. Et c’est une histoire de l’art moderne en Afrique assez paradoxale voire aberrante, mais réellement édifiante sur certaines de nos dépendances. Ismaël Diabaté est un ancien élève de l’école de peinture de Bamako. C’est un peintre au début des années 70 appartenant à cette école. Et il arrive une situation intéressante. Pour des raisons économiques, le matériel de travail ne va pas être renouvelé pendant une durée assez longue : pinceaux, peinture, gouaches… Techniquement, ces artistes sont au chômage technique en incapacité de produire faute de matériel venant d’Occident. En observant des femmes pratiquer le Bogolan, à partir de substrats naturels locaux, plusieurs peintres maliens vont s’emparer de cette technique. Et la revisiter à leur sauce.Fini les pinceaux venant de Paris, la plume taillée d’un grand oiseau fera l’affaire. Et le matériau pour « peindre » ou dessiner ne connaît pas de rupture de stock et en l’occurrence, il est totalement éco-responsable. Le discours de ces hommes est différent de celui des femmes dans ces histoires contées sur coton. Le quotidien laisse la place au sacré et à l’ésotérique pour certaines toiles. Sur la photo ci-dessous, les lecteurs initiés reconnaitront des signes de la cosmogonie bambara (Komo). Ainsi, l’esthétique sert à mettre en scène des codes peu visibles, rares. Je réalise un peu plus en écrivant cet article la valeur symbolique, culturelle du travail d’Ismaël. Naturellement, le travail titanesque de certaines de ses toiles est peu mis en valeur. Mais comme tout artiste, il est voué à son œuvre qui sera un jour comprise. Ou pas. On discute de ses conditions de travail, son atelier à Bamako dans lequel il passe des heures. La veille, il posait via son esquisse le cadre de son travail. Aujourd’hui, il remplit les cases et dans cette structure géométrique particulière, plus on avance vers le détail, mieux se déploie l’inspiration, la liberté, la folie de l'artiste. Si l’ensemble vous offre un projet magnifique et original, c’est à la loupe que la lueur et la minutie de Diabaté s’exprime. Des artistes  en mal d’inspiration, photographient ses fresques étranges, pour recréer, réinventer leur art. Il le sait, il se reconnait parfois en ligne. Sans vraiment être médusé. Il faut dire que de cet homme dégage une certaine sagesse et paix de l’esprit...Il est important de signaler qu'Ismael Diabaté fait partie d'un collectif d'artistes maliens, le groupe Kosabané Bogolan - initié par feu Kandioura Coulibaly. Il y a eu plusieurs expositionsen Espagne (Barcelone) ou en France (Angers)autour de leur travail.Le dernier jour de ma présence à Alger, je devais proposer un atelier d’écriture. On est parti de la technique du Bogolan, pour raconter nos histoires. Une petite dédicace à Narriman Sadouni qui a permis cette rencontre.

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