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(Note de lecture), Nohad Salameh, Les Éveilleuses, par Béatrice Bonhomme

Par Florence Trocmé

Nohad Salameh  les éveilleusesLes Éveilleuses. Ces éveilleuses, gardiennes de nos vocables. Celles qui nous réveillent d’un sommeil dogmatique. Celles qui s’engouffrent dans la béance et traversent, émergeant comme des sanglots d’oiseaux, lucioles, éclairant la nuit de l’enfance, lumières. Celles qui habitent le monde. Celles qui ressentent ce lien aux autres et au monde. Les créatrices de leurs mille bras entrelacés, permettant un sentiment du tout-ensemble, de cette unité multiple qui relie intimement l’intuition du Tout. Les créatrices, s’ouvrant au monde et aux éléments cosmiques, se répandant dans les feuilles. Les poreuses, traversées par des flux d’échanges d’éléments de choses ou de choses élémentaires. Les éveilleuses, devenant la source d’insistance entre nous et les choses, poètes médiatrices, poètes douées d’une porosité essentielle.
Celles dont la lecture nous mènent vers notre monde devenu autre, devenu habitable par leurs paroles, par leurs mots. Celles qui progressent et remontent depuis le temps des origines, sinuant en germination de graines, ces bienveillantes qui nous apprivoisent et nous guident doucement vers une parole de nudité. Celles, comme un secret intime à l’œuvre.
Chœur de femmes, de femmes poètes, chœur éclaboussé d’éclairs, comme un paysage charrué de fulgurances. Chœur d’anonymes ancrées dans l’intimité du secret et déployant leurs ailes pour l’universalité d’une terre précaire à ciel ouvert.
Et oui, c’est toi aussi, Nohad Salameh, ces anonymes, c’est toi poète, et c’est elles. Présentes par leurs empreintes dans tes empreintes, leurs traces dans tes traces, leurs cicatrices dans les tiennes.
Et c’est un chœur d’étoiles qui filent, de nageuses de voie lactée. Qui êtes-vous dispensatrices de l’imaginaire ? Prédestinées à la Révélation, et d’un bond, d’un saut, d’une danse rejoignant la parole de la poète qui vous parle et en qui vous parlez, en sa voix.
Semeuses, semaison de syllabes, de couleurs et d’étoiles, multipliant en la poète la présence cosmique. La poète germine de ces éveilleuses qui poursuivent en elle leur chant de l’inédit. 
Ces parleuses, écrivaines qui enfantent la poète et multiplient les myriades de son être. Écrire c’est aussi vivre en communion avec ces éveilleuses de mémoire et de mondes, ces respirantes de souffle et de mots, ces médiatrices qui portent vers les célébrations et les talismans.
Voix oraculaires qui ont précédé, qui ont ouvert le chemin de la création à d’autres femmes. Femmes de plusieurs regards, femmes fécondes, femmes de lutte et de batailles gagnées, voyageuses intermittentes, figures de proue, guerrières pour que la parole ouvre le jour à d’autres femmes.
Les éveilleuses, Nohad Salameh en fait partie. Elle donne parole à toutes celles qui n’ont pas eu la parole et que l’on a brisées. Elle porte témoignage sur l’enfant-fille tuée, la malvenue au monde, sur l’égorgée, Zora la flamboyante, sur l’excisée amputée de la magnificence du jouir et du vivre.
Puis elle rend hommage à tant de créatrices dont la maraudeuse d’infini Selma Lagerlöf, l’envoûteuse Lou Andréas Salomé, la médiatrice du réel et de l’imaginaire Colette, la Shéhérazade des mers de glace, Karen Blixen, la petite mère du Chili, Gabriela Mistral…
Les lectrices et les lecteurs découvriront l’émerveillement de poèmes sensibles sur toutes ces créatrices, Marguerite Yourcenar, Simone de Beauvoir, Anne Hébert, et tant d’autres, magiciennes des mots, à qui en même temps qu’hommage, est rendue justice. Dans « l’infini servage » de la femme, est mise en lumière cette conquête de la création par ces femmes de courage, de parole et d’écriture. Et ce livre, permet le passage de ce relais de création, cette mémoire, cette transmission d’une poète à l’autre, dans le don.
Béatrice Bonhomme
Nohad Salameh, Les Eveilleuses, L’atelier du Grand Tétras, 2019, 96 p., 15€

Extrait :

I
De quelle béance
émergent en moi ces présences
sanglot d'oiseau surnaturel
ou lucioles issues d'un monde parallèle ?
Vers quel havre de grâce
progressent ces invisibles
qui remontent le temps sinueux
de la germination
jusqu'au château des vocables
hypnotisées par ma parole
- ces bienveillantes vêtues de fraîche solitude
qui m'apprivoisent dès l'Appel
nues et proches
ainsi qu'un secret ?
(p.9)


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