Il n'est pas nécessaire d'aimer Shakespeare pour apprécier ce spectacle essentiel à mes yeux à quiconque désire comprendre comment fonctionne le théâtre et surtout pour vivre une soirée absolument joyeuse.
Si on m'avait dit qu'un acteur me ferait autant rire en me parlant de Macbeth j'aurais pensé qu'on se moquait de moi ... ou qu'on était fou. La création a eu lieu il y a quelques années mais le texte a été "révisé" et il pulse à grande vitesse.
C’est ce qu’on appelle dans le jargon un numéro d’acteur. Il est probable que personne d’autre que David Alaya puisse réaliser cette performance. Mais qu’importe c’est David Alaya qui est sur scène et c'est lui qu’on vient voir ... et entendre.
Ecoutons attentivement la dernière phrase du spectacle : la vie n’est qu’une ombre en marge. Un acteur se pavane sur la scène et on entend plus rien.
Mais avant cela, avant cette scène d’un dénuement extrême, avant cette scène dans laquelle l’acteur donne au public ce qu’il y a de plus intime, nous assistons à la rituelle "séance de notes" que le metteur en scène donne (et ici "joue") à l’issue d’une répétition, devant toute l’équipe artistique et technique. David Alaya est ce metteur en scène qui, notes à la main, va faire trembler chaque membre de l'équipe, et faire voler en éclat le fameux quatrième mur qui théoriquement sépare la scène du public.Il est vrai que pour moi qui ai travaillé plusieurs années dans un théâtre national ce spectacle ne pouvait qu’être réjouissant. Tous les tics de langage y sont. Cette manière de rassurer, de complimenter et l’instant d’après d’insinuer que finalement le comédien (ou le technicien) aurait vraiment pu faire mieux… ou devrait vraiment faire mieux, je l’ai entendu.
Chaque mot sonne si vrai. Chaque geste aussi. Jusqu’à la difficulté du "metteur" à se souvenir de ce qu’il a voulu dire au moment où il a écrit une phrase dont le sens désormais lui échappe.
Il manque les réactions de l’équipe. C’est un seul en scène. Mais les spectateurs se projetèrent dans les personnages ... et se trouvent eux aussi très concernés. Ils en prennent pour leur grade, apprenant sans surprise qu’ils sont cons. Les journalistes ne sont pas davantage épargnés : Il faut tuer les critiques.
Dan Jemmett est le co-auteur du spectacle. Il a bien raison de partir du postulat que beaucoup n’ont jamais réussi à décrypter Macbeth. C’est là que le spectacle séduira puisque le metteur en scène (qui n’a pas une opinion plus positive de ses comédiens que du public) entreprend régulièrement d’analyser les rendez-vous dramaturgiques qui ponctuent la pièce et que certains ont selon lui manifestement carrément loupé.
Il explique avec des mots, des soupirs, exhortant ses comédiens à se saisir de ses indications : je vais pas le faire, sous-entendu à votre place, je suis pas acteur… !
Tout y passe depuis l’amour du théâtre oriental jusqu'aux références aux dernières créations de Macbeth (il faut oser !) en passant par les allusions au théâtre de la distorsion. Il multiplie les digressions et les anecdotes en les justifiant d'un "ça repose", et de fait elles offrent des moments de respiration avant de plonger de nouveau au coeur de la tragédie shakespearienne.
Avec notamment un oiseau du désert (un Grand Géocoucou), connu pour être extrêmement rapide à la course, devenu en 1948 le personnage de dessin animé Bip Bip (Road Runner en VO). On entendra le bruit des flèches comme en 1957 dans le film de Kurosawa, Le Château de l'araignée (qui est une transposition de Macbeth dans le japon médiéval). On mesure son désir de faire s'envoler une colombe comme dans la scène finale du film-culte de science-fiction Blade Runner tourné en 1982 par Ridley Scott, désignée sous le nom de "monologue des larmes dans la pluie", récité par le personnage Roy Batty, incarné par Rutger Hauer (décédé cet été).
Entre-temps il aura expliqué à Fred comment passer à travers le tunnel de l’imagination de l'auteur. Il aura gentiment envoyé promener celui qui fait de la recherche d’acteurs sur une utilité qui ne comporte que trois phrases et à qui il recommande de faire un stage avec… un célèbre metteur en scène dont il ne dit pas le nom, mais que les connaisseurs auront reconnu.
La soirée s'éternise. Le public est conquis et l'écouterait volontiers toute la nuit mais le régisseur finit par le couper dans son élan, lui demandant d’accélérer les notes pour ne pas déborder sur le service. Autrement dit personne n’a envie de faire des heures supplémentaires gratuites ...
Je vais donc m’arrêter moi-même en vous rappelant que Macbeth (the notes) se joue à 19h au Lucernaire et je serais prof de français, j'y emmènerais mes élèves avec la certitude que je passerais ensuite une excellente année avec eux.
Macbeth (The notes)D'après William ShakespeareAdaptation de Dan Jemmett et David AyalaMise en scène Dan JemmettAvec David AyalaAu Lucernaire 53, rue Notre-Dame-des-Champs - 75006 Paris - 01 45 44 57 34Du 28 août au 13 octobreA 19 heures du mardi au samediA 16 heures le dimanche