Magazine Culture
Il y a quelques années, nous avions été voir Lou Reed au palais des congrès de Paris alors qu'il jouait en intégralité son chef d'oeuvre "Berlin". On pouvait se targuer de l'avoir vu au moins une fois avant qu'il ne meurt quelques temps plus tard. Le concert en lui-même ne nous avait pourtant pas procurer de souvenirs mémorables. La retranscription live du mythique album était beaucoup trop virile et lourdaude, bafouant allègrement ce qu'on aimait dans sa musique : sa poésie, son côté sombre et malsain, son rock non calibré. Cette semaine, l'occasion de voir son ex-acolyte du Velvet Underground se présenta, histoire d'effacer un tant soit peu ce rendez-vous manqué. Les compte rendus de concerts que je glanais ici et là sur le net ne me disaient pourtant rien qui vaille. John Cale, comme Lou Reed, aurait plutôt tendance à montrer les muscles sur scène. Mais une information m'a définitivement fait changer d'avis et acheter mes places : l'artiste sera accompagné de la brillante Cate Le Bon, compatriote galloise, comme un évident passage de relais entre générations. Cale pourrait même être son grand-père. Le concert auquel nous avons assisté faisait partie d'un triptyque enchaîné trois soirs de suite où Cale balayait l'ensemble de sa carrière. La salle de la cité de la musique était loin d'être pleine, ce qui nous permis d'être mieux placés que prévu. Le public, sans doute quelques abonnés de l'endroit, semblait plus habitué aux concerts de musique classique qu'aux concerts rock. Mais Cale et sa troupe de musiciens impeccables commencèrent plutôt calmement. N'étant pas un expert de sa carrière, j'avoue que pas mal de chansons ne m'étaient pas familières. Mais ça n'a pas gâché le moins du monde le plaisir d'écoute. Physiquement, on sent le chanteur diminué, il affiche quand même 77 ans ! L'interaction avec l'assistante est aussi réduite à la portion congrue. Mais la qualité des musiciens et l'acoustique de la salle suffisent amplement à passer un agréable moment. John Cale est cet artiste, jamais dans la lumière. D'abord dans l'ombre de Lou Reed au sein du Velvet, il enchaîna une carrière solo ponctuée de nombreux excellents disques passés assez inaperçus et notamment le sommet "Paris 1919" en 1973. (La même année que "Berlin") sans qu'on constate de réelles baisses de régime - même pendant les années 80 où beaucoup d'artistes ont vu leur inspiration en perte de vitesse flagrante. Le seul défaut de Cale est sans doute de ne pas avoir sorti de vrais tubes, de ceux qui restent gravés à jamais. Il est aujourd'hui l'un des acteurs majeurs encore vivants du New-York bohème de la fin des années 60. Il a produit entre autres les premiers disques des Stooges, des Modern Lovers ou de Patti Smith. C'est une légende du rock. Et ses disques comme ses concerts gardent la même exigence : on sent que chaque traduction live des morceaux a été savamment préparée : de la version hantée et un poil flippante de "Half Past France" en rappel à celle bruitiste, déjantée et interminable de "Heartbreak Hotel" - ça a dû nettoyer les oreilles des habitués du classique - en passant par les titres uniquement chantés par la parfaite Cate Le Bon. Même les vidéos passées à l'arrière de la scène et l'oeuvre de Abby Portner, habituelle collaboratrice de Animal Collective, sont en totale adéquation avec la musique. On se dit après plus d'1h30 de concert que ça y est, lui aussi, on l'aura vu. Et cette fois-ci, la soirée fut bonne. Merci pour tout et longue vie à vous, monsieur Cale.