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Elnathan John : Né un mardi

Par Gangoueus @lareus
Avant de devenir il y a deux ans le Prix les Afriques, il était désigné plutôt par le prix du livre engagé. Une qualification terrorisante, sclérosante pour nombre d’auteurs. C’est sous ce prisme que pendant deux ans, j’ai réfléchi sur la notion d’engagement en littérature. Après Kei Miller, Elnathan John et son roman Né un mardi, lauréat 2019 de ce prix, s’inscrivent dans la liste des textes exigeants, aboutis, poncés, engagés et engageants que la CENE littéraire récompense.
Elnathan John est lauréat du prix les Afriques 2019 pour son roman Né un mardi
Dantala. Né un mardi. Il s’appellerait Konan s’il était né à Toumodi ou à Yamoussoukro en pays Akan. Mais il est haussa.  Il est né un mardi au nord du Nigeria. Dantala. Ahmad pour l’islam. Dans cette dualité dans la manière de nommer et d’être nommé, il y a déjà la question de l’effacement ou d’une tension entre différentes identités que doit gérer Dantala. Dans la bande de voyous, de délinquants ou de marginaux dont il fait partie à Bayan Layi, il est le lieutenant de Banda. La violence dans laquelle ils opèrent avec cette bande n’est pas sans faire penser aux kuluna  de Kinshasa, les Bébés noirs de Brazzaville ou encore les Microbes d’Abidjan. Ces jeunes font régner la terreur et ils sont eux mêmes manipulés par des politiciens à l’occasion des suffrages électoraux organisés par la fédération. Violence. Dans sa dimension la plus crue, la plus primaire. Suite à une répression militaire brutale faisant suite à une de leurs exactions, Dantala fuit et abandonne le groupe. Il est recueilli dans une mosquée où un islam radical est prôné…
L'homme court avec les mains en l'air comme une femme, comme un dan daudu répugnant. Je déteste qu'il soit gros. Je déteste son parti,parce qu'il nous rend pauvre. Je déteste qu'il se soit caché comme un rat, gras comme il est. Je le frappe à la nuque alors qu'il passe en trébuchant devant moi.
p.29, ed. Métailié
Dantala nous raconte sa reconstruction dans cette structure religieuse. Loin de la wee-wee, de la délinquance, de la prostitution des jeunes femmes. Loin des rapines pour pouvoir manger quelque chose. Dans cette mosquée, une action sociale est soutenue et construite sur la durée. Il est accueilli par Sheikh Jamal, l’imam et Abdul-Nur son bras droit en charge de l’organisation et de la mise en place d’une structure éducative et qui prône un discours extrêmement virulent à l’endroit d’autres mouvances de l’islam comme le chiisme. Pas à pas, sous le regard d'Ahmad, très progressivement, il nous est donnés de saisir les dissensions dans la mise en oeuvre d’un islam politique arrimé ou pas à l’état fédéral. On perçoit aussi au travers d’Abdul-Nur l’émergence de ce qui deviendra Boko Haram.
Le terreau de tous ces discours est à la fois l’extrême pauvreté du Nord du Nigéria que l’on perçoit quand on comprend comment Dantala s’est retrouvé dans la rue. Mais aussi, cette fracture radicale entre le nord musulman influencée par l’Orient (l’Arabie Saoudite ou l’Iran pour exemple) et le sud du pays complètement orienté vers l’Occident. Pour avoir principalement lu des écrivains du sud-est du Nigeria, c’est une évidence criarde et terrifiante. Et le voyage dans le nord de ce pays avec Dantala, nous parle d’un autre monde. Le troisième volet de ces discours est l’opportunisme des politiques peu enclin à solutionner les problèmes de cette jeunesse en perdition. Enfin, l’extrême brutalité d’une armée nigériane qui va, si on lit entre les lignes d’Elnathan John, participer au processus de radicalisation de certaines factions dites moudjahidines. 
Par Dantala, on perçoit toutes ces nuances, les prises de distance des uns, les atrocités en interne de ces mouvements radicaux, l’effacement des adversaires par des moyens les plus brutaux. 
Pourquoi ce livre est intéressant et singulier ? En quoi se démarque-t-il de ce que Ousmane Diarra ou Mbougar Sarr ont pu écrire dans leurs romans respectifs La route des clameurs et Terre ceinte. La complexité des luttes idéologiques et religieuses au Nigéria est profondément enracinée. Le Malien critique à chaud l’installation des djihadistes à Tombouctou quand le Sénégalais lui interpelle les élites sur leurs capacités à réagir et à anticiper un fléau qu’il faut endiguer.  Elnathan John a une démarche qui est tout autre, construite plus sur une profonde empathie pour une jeunesse en déroute que dans une prophylaxie de phénomènes à venir. Empathie, parce qu’il est essentiel de rappeler que bien natif de Kaduna, Elnathan John vient d’une famille chrétienne. Pourtant, la maîtrise dans sa description des groupuscules ou des groupes religieux sunnites ou chiites nous révèle une préoccupation et un désir de traiter en fond la cause des maux : la pauvreté et l’éducation. En cela, l’engagement d’Elnathan John est total. Si Dantala est haoussa et pense dans cette langue, Elnathan John nous donne de percevoir l’appétit de connaissance de Dantala et il lui invite une langue par laquelle, le temps d’un chapitre, notre personnage nous conte des moments intimes par la compréhension qu’il a de certains mots en anglais (rendus en français dans le cadre de la traduction). Ce sont les moments les plus touchants du roman où le talibé apprend dans le book (Boko).  
C’est aussi un texte sur l’amour naissant, sur la fraternité et l’amitié. Entre Jibril et Dantala. Qu’est-ce que la famille ? Qui sont nos frères ? Pour qui sommes nous prêts à mourir ? J’ai écrit cette chronique rapidement. Parce que le texte puissant dense. Loin d’être nombriliste, c’est la littérature comme je l’aime, parce que dans le fond, Elnathan John arrive par une écriture fluide, accessible et au service du discours de ses personnages, il arrive à écrire une version du roman national nigérian. 
Elnathan John, Né un Mardi Edition Métailié, Paris, 2018, 260 pagesTitre original : Born On A Tuesday(2015)

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